Wheatland Iowa - Un garçon sans histoire ?

Tout simplement l’histoire d’un gamin qui n’était pas fait pour le Coven Night et qui a trouvé que le sort des Humains valait qu’on les défendît… Mais dans quelle mesure tout ce qui suit est-il vrai ? Je ne saurais le dire avec certitude, car, dans ma longue dissidence, je fus souvent victime d'illusions et de distorsions éprouvantes de la réalité.


Un enfant déjà mal à l’aise dans le noir.

Fils d'un puissant père du Coven Night, moi j'avais peur du noir. En fait ma mère était née Summer avant de se faire Night pour épouser mon père, mais elle est morte quand j'étais petit. C'est peut-être ce qui explique le côté plutôt joyeux, festif, voire même turbulent, en un mot "estival", que j'avais étant gamin et que je garde encore. Et aussi les idées farfelues, utopiques.

Bien que j'aie eu des tatouages night, et que j'eusses assez tôt appris des tours, de par ma sensibilité, je ne me sentais pas moi-même dans ce monde Night ; je le le ressentais pas comme conforme à ma propre tonalité. Le Sorcier night, au "masque froid et arrogant", était pour moi l'antithèse du cœur et du bonheur.

Je compensais mon angoisse en faisant des bêtises avec mes potes. Je n'étais jamais vraiment dans le défi, je cherchais seulement à tromper l'ennui, le vide, la peur d'un monde que je ne comprenais pas.

J'ai été choqué assez tôt par le sort indigne des Humains, car je pouvais facilement m'en informer à cause du pouvoir et des activités mêmes de mon père. En douce, je lisais les rapports auxquels il avait accès.

Vers mes douze ans, j'ai commencé à marquer mon refus de certaines pratiques magiques où il fallait cultiver la noirceur en soi. Il faut vous dire que la magie du « côté obscur » (même si la Nuit n'est pas que cela) était l’objet d’une profonde « spiritualité » dans ma famille. Être Night était pour eux un engagement total. Donc les miens étaient une secte dans la "secte" si l’on veut. Alors mon père a commencé à me punir pour m'obliger à changer. Mais au départ, c’était de petites punitions adaptées et supportables…

Socialement, en tant que son fils, je demeurai un privilégié et j'en avais conscience. Et puis mes potes, pas encore trop entrés dans la duplicité, me soutenaient affectueusement.


Ma conversion et mon premier « Coven » (ne riez pas).

Un soir, après une incartade de plus, j'étais puni à devoir rester toute la nuit dans une sombre et vieille bibliothèque pleine de grimoires malsains aux trop vives couleurs. Et l'on avait ensorcelé ce lieu afin qu'il me parût hantée. Je tentais vainement de ne pas succomber à la peur…

Je suis alors tombé par hasard sur un petit livret sobre mais clair, concernant, je crois, les "Valeurs Méricaines" de "Land-of-Liberty" (ou quelque chose comme ça). Il y était surtout question de "Liberté". Ces lignes m’ont assez dépaysé pour m'apporter une paix intérieure. Je crois que j'avais besoin d'un tel modèle pour me recadrer et m’ancrer dans quelque chose. Et je l'ai lu d'une traite. Je n'ai jamais oublié l'impression d'enchantement "estival", mais aussi de savoir, de netteté intellectuelle, que je ressentis en le lisant.

Je compris, en lisant ce livre, l'ère magnifique d'avant-guère, mais aussi tout le drame cosmique qui s'était joué ensuite : si je me souviens, la faute de l'Humanité fut le dogme et l'Inquisition, sa punition fut alors la défaite par les Sorciers, ce qui obscurcit notre monde et le réduisit à la taille de New-York pour l'enfermer, et alors l'acculturation a soumis les Humains aux nouveaux maîtres… Mais à lire ce livre, je compris aussi que le salut du monde pouvait être l'Idéal retrouvé de la Liberté, en réparation au dogme ; ce serait là un Idéal certes en lointain écho au passé, mais surtout réadapté à notre temps comme valeur d'avenir… (Plus tard, hélas, on a effacé une partie de toutes ces merveilleuses connaissances en moi, donc je n'en ai qu'une idée vague, mais elle s'avère toujours aussi… preignante en moi tout comme un Enchantement opéré sur ma vie.)

Sitôt ces bases assimilées, j'ai tenté avec enthousiasme de créer et d'animer un petit groupe "méricain" au sein de mon collège avec des potes. Nous donnions des fêtes en guise de rituels. Jeunes qu'on était, on rêvait de fraterniser New-York entier par cette sorte d'idéal de "Land-of-Liberty" qu'on accommodait à notre manière. L’on évoquait aussi le renoncement à la magie. On était dans une Utopie globale. Il n'y avait là rien de si dangereux, c'était comme une gaminerie de plus, mais évidemment ça ne pouvait pas être toléré par notre monde, même dans un milieu night semblant s’ouvrir à très une relative tolérance.

À la même époque, j'enquêtai discrètement sur feu ma mère. Découvrir peu à peu son histoire sulfureuse m'a certainement encouragé dans ma différence. Ma mère, transfuge et ancienne Summer de haut rang, avait rejoint la Nuit par un calcul anticipé ou bien par quête de pouvoir. Le rang de mon père fit qu'on accepta socialement leur union. Parvenue grâce aux illusions au faîte de son but, elle mourut hélas dans un accident (durant un voyage en transporte non homologué, à ce qu'il semble).

Dans son carnet intime, entre les lignes obscures, chantait encore pourtant quelque chose d'oublié… le charme même de l'Été dont elle avai trahi la cause mais conservé l'esprit subtil. Et puis je buvais parfois des restes de potions imbibant le fin fond de ses fioles, cela m'emportait une seconde dans un monde radieux tout différent, alors j'oubliais tout. L'on raconte que l'Été charrie des mensonges, mais moi je crois en de telles illusions. Oui, je suis très perméable à cette époque de l'année.

Je relisais ses notes sans toujours les comprendre, mais cela me poussait à essayer d'acquérir une part de ses connaissances, et, pour ce faire, à essayer de me cultiver autant que possible dans le domaine des idées et en histoire, même si, hélas, les Winter semblent s'être approprié pour eux tout ce savoir historique. Mais de là mon langage si littéraire. de là aussi ma fascination pour le savoir, au moins le savoir théorique.


Lâché, puni, puis séquestré, mais je résiste encore.

Dès que quelques adultes se sont mêlés de nous détourner de notre idée, notre petit groupe "méricain" pour la "Liberté" fut déserté ; ah elles étaient belles les résolutions, sitôt trahies et oubliées par tous. Mais moi j'ai cru bon de demeurer fidèle à notre belle idée, sinon, ce n'aurait pas été une belle histoire. Évidemment, je fus isolé, réduit à devenir discret et à baisser la tête, mais je commençais à refuser de devenir sorcier. Ma propre réflexion se développait.

Par exception, une seule camarade demeura un temps fidèle à notre "hérésie méricaine". La première épreuve que je subis fut alors décisive : prendre pour moi les punitions afin de ne pas la dénoncer. (Elle se dénoncera elle-même pour finir.) Avoir dû traverser cela m’a considérablement renforcé.

C'est à partir de là que mon père m'a puni durement. Il provoquait en moi des cauchemars pour mieux noircir mes nuits et me les faire aimer. Il savait manier assez de noirceur et de peurs nocturnes pour me tirer toujours un peu plus bas sans toutefois me briser. Mais au contraire, ce "traitement" me guérissait de toute envie de noirceur. À force d’être ainsi éprouvé, il s'en est suivi un cercle vicieux, le fossé se creusait entre moi et mon paternel, et entre moi et le monde nocturne. Je devins plus intransigeant contre la magie : je ne voulais même plus voir durant la nuit comme en plein jour, car je refusais de vivre par quelque artifice que ce soit.

Mon père m’a alors séquestré pour me faire, à toute force, admettre mon sang et mon destin de Sorcier Night. La punition consistait notamment à m’affamer cruellement (ou bien à me faire croire que je l'étais réellement), d’où peut-être l’aspect un peu juvénile que j’ai conservé. Peut-être que mon père me rajeunissait aussi mentalement dans ces moments-là, pour mieux m'épouvanter, car il me soumettait à des cauchemars affreux qui me privaient de sommeil, voire de raison. Et certes j'aurais pu mettre fin à toute cette persécution et à ma captivité, en acceptant de pratiquer la magie night. Mais plus mon père se montrait intransigeant envers moi, et plus je m'enfermais comme par réflexe dans mon refus. Seul mon meilleur ami ne m'avait pas abandonné, mais nous contacter devenait impossible. Et, épuisé, j’étais naturellement devenu instable émotionnellement.


Mon évasion ratée. Mon handicap. Et comment je me fais Humain symboliquement.

Une nuit de terreur, en tentant de m'évader selon le lierre de la façade, je suis tombé de 10 mètres de hauteur. Ma jambe gauche a été brisée. Et une Sorcière (puissante guérisseuse Dawn amie et collègue de mon père) qui me trouve gisant sur les graviers. Elle et mon père, je les entends hésiter. Puis mon père se décide quant à la suite : sur les instructions précises de celui-ci, cette Sorcière me soigne par magie, mais sans remettre mes os droits, non, elle les ressoude ainsi et elle ferme mes plaies. Je me retrouve "guéri", mais avec une jambe un peu tordue et qui demeure douloureuse en appui. D'où le fait que je boîte aujourd'hui même avec une béquille. Puis, mon paternel, avec son sourire moqueur et un rien diabolique, a dit:

« Si tu veux calmer la douleur, il te faudra obscurcir ton âme pour te jeter toi-même un sort d'illusion. »

Et il me rend à ma cellule avec mes bouquins d'étude de magie. Mais lui et sa collègue, ils ne comprenaient pas que j’étais résolu à ne pas céder, à ne plus obscurcir mon âme, à ne plus pratiquer cette magie nocturne. Et puis, rester handicapé me permettait symboliquement d'accuser mon père et mon milieu de maltraitance. Alors cela aussi est devenu un enjeu, et comme je n'ai pas cédé, je suis resté ainsi quelque peu diminué. Sinon je pense que j'aurais eu droit à l'intervention d'un puissant Dawn pour guérir totalement ce handicap.

Mais je vous avoue, j'ai quand même dû m'ensorceler a minima pour calmer la douleur. Ainsi, oui, j’ai alors accueilli en moi une part de noirceur. Mais, pour l’essentiel, je suis demeuré tout de même sauf moralement. Parce que, après ce tour, j'ai prononcé, en échange, un serment définitif à "Liberté" : celui de ne plus jamais utiliser aucune magie. Peut-être que j'aurais dû me dire alors que des magies défensives, nourricière, curative, constructives, artistiques, etc. n'étaient quant à elles pas mauvaises. Mais c'est avec mon cœur et mon instinct, que, sans trop réfléchir, je fis ce serment sacré. Et ainsi, je suis devenu Humain d'abord à mes yeux. Mon "rêve" était que mon exemple puisse un jour éveiller les consciences.


La rupture avec mon milieu puis mon Coven.

Mon père ne m'a plus séquestré après cela, il finit simplement par renoncer à me "sauver", peut-être après avoir en conscience tenté le maximum pour moi. Ma famille m'avait également rejeté. On a beau être Night et d'un milieu aisé, d’une époque un peu plus évoluée, il y a des limites aussi.

Ce fut pour moi une brève période de paix précédant le final. Personne ne voulait plus me fréquenter, d’autres jeunes cherchaient plutôt à me molester ou bien à m'ensorceler, voire à me tuer. À condition de les éviter, j’étais assez libre de mon temps et de mes mouvements. Quelques personnes aussi louaient (un peu lâchement il est vrai) mon propre courage. Comme on m’interdisait déjà de fait le lycée, il fallut bien me renvoyer. Ce furent des vacances très anticipées.

Et puis j'ai eu vite droit à un séjour en centre night de redressement. Même dans ces conditions, je refuse toujours d'accomplir les pratiques de mon Coven. Toute cette opprobre et cette hostilité, pour éprouvants qu’elles soient, m’endurcissent et me déterminent paradoxalement. Je ne vivais plus qu’avec mon Idéal, m’en sentant la mission. La "foi" me soutenait, car j’étais en dialogue intime avec ma "Liberté".

Pendant ce temps, des preuves s'accumulent de mon « apostasie ». L'enquête interne me désigne probablement aussi comme dangereux, et je sens que je risque d’être déferré bientôt devant le Tribunal d’Automne. Mais ma famille continuait de me protéger. Peut-être le faisait-elle tout simplement pour éviter le scandale, mais je crois que c'était également par pité envers moi, pour me laisser une chance dans la vie.

Alors, pour m’éviter un procès public et une condamnation importante, je vais être déchu de mon Coven comme c’est le plus souvent l’usage. Comme pour remettre à zéro mon compteur, on a clôt toute enquête interne me concernant. Mon bannissement est alors communiqué aux différents Covens. Et vient sitôt le cérémonial night proprement dit de mon bannissement.

Je suis mené devant les miens et face au ténébreux Suprême, Hassan Saab, lequel me semble alors radier horriblement la Nuit, et devant qui un accusé ordinaire n'a guère que la possibilité physique et morale de se prosterner totalement. Alors sa voix lit le délibéré, qui souligne que mon affaire est exceptionnellement grave, en raison de son caractère idéaliste, et qu'à mon cas vraiment spécial doit être appliqué un traitement particulièrement poussé : j'ai donc droit à un Rituel majeur. Un soin extrême doit être apporté à me faire oublier tout souvenir et même tout envie de magie, ainsi que toute connaissance de l'identité exacte des miens. Comme je ne suis même plus digne de mon ancien nom, selon une rare procédure, on m'en déchoit également, et l'on me renomme très officiellement. Puis Le Suprême prononce la sentence rituelle exceptionnelle :

« Nous, etc., & investis, etc., devant préserver la pureté de Notre Goétie pour ne point contrarier les Puissances très-nocturnes, & avec la plus grande mansuétude & charité de Nos Prérogatives suprêmes & sacrées envers l'exécrable accusé icy comparaissant dans son insigne & indicible éviction & déréliction, etc., etc. »

Ensuite, l'on doit brûler mes tatouages rituels en « creusant » même leur souvenir, mais un intervenant Dawn me répare ces brûlures aussitôt, sans me laisser ni traces ni douleurs. On a enfin tenté d'effacer également mon Idéal de ma conscience. - Mais on n'efface pas facilement une telle chose, il en reste en moi des éléments de connaissances qui sont certes imprécis voire déformés, mais qui demeurent fidèles dans leur sens général à mes convictions. Et pour combler le reste, je compte sur la sincérité de la démarche. - Il n’y avait pas besoin de me refaire en outre le visage : mon père était certes puissant mais guère connu du grand public.

Très éprouvé, mais… délivré des chaînes de mon passé, je sais qu’une nouvelle vie commence pour moi. Elle n’est certainement pas moins dure. Mais elle vaut la peine d’être vécue, ayant un sens.


Rendu humain, j’y resterai fidèle, même en paria obscur s'il le faut.

Conformément à la loi 2031, à l'issue du Rituel de bannissement, une garnison de l'Automne m’a mené aux portes de la Péninsule de Rockaway. (Et cela fut par une nuit très matinale, sous la garde de ces Autumns, dont les yeux moralisateurs me consumaient de leurs cinglants reproches.) Puis ils m'ont notifié l’interdiction de franchir à nouveau ces portes de mon exil.

Je sais que je pourrais, si jamais je le voulais, demander la grâce de mon Coven en faisant amende honorable. Ou encore j’imagine que je pourrais peut-être me renseigner pour tenter de recouvrer clandestinement de la magie (si les Wicked et les Red Thieves sont tels qu'on le prétend)… Mais, quoique tremblant encore de tout ce qui m'arrive, je balaie ces idées aussitôt de mon esprit. Je veux rester fidèle à mon Idéal. Si j'ai été rendu à l'humanité et délivré de la magie, c’est ma chance de pouvoir rester Humain, avec tout ce que cela comporte !

Allez, calme-toi et courage !, me dis-je en "traçant" avec ma béquille, fuyant bien vite cette place où des "loups" guettent le nouvel arrivant.

Maintenant, là où je me trouve, je pars de zéro. Je dois d’abord survivre, quoi savoir, quelles bonnes personnes je peux fréquenter, quelles mauvaises je devrai éviter, quel travail faire, où loger, etc., avant même de songer à constituer quelque embryon de résistance que ce puisse être. Si ensuite, un jour, je peux recruter même une seule personne, ma démarche acquérira une importance même symbolique dans ce monde, question de proportion relative.

Ici, à Rockaway… la magie "subjugue les âmes marginales". Ici on dit aussi : "les murs infusés de magie". Territoire ô combien délétère pour moi ! Mais je dois me trouver pour le moment un havre quelque part, même si ce lieu me semble difficile et malsain. Je ne peux certes pas apprendre une magie. Ni travailler en lien quelconque avec la magie. Je ne suis rien ici. Sans vouloir le montrer, j'ai peur des bandits qui règnent en vrais maîtres sur toute cette zone. Je n'ai guère que mes bras, mon cerveau, mon courage, ma serviabilité, ma prudence et mon humilité pour survivre.

Ici à Rockaway, je ne crois pas que je doive me signaler comme Humain, même si c'est objectivement mon état. Mes papiers sont ceux d'un Wicked. Et mon projet exige une certaine latitude : je dois pouvoir percevoir des Black Dimes et avoir accès au savoir. Mais cependant, la tromperie aura ici un terme tôt ou tard ; car l'adage prévient : "gare aux faux semblants et aux apparences, tout a un prix à payer". Ferais-je erreur en croyant qu'un Humain comme moi doive rejoindre un jour Staten Island ? Il faut être lucide : incapable d'user de magie, je ne vais pas pouvoir tromper longtemps mon monde, ici.

Un jour, j'espère, j'éveillerai mes frères et mes sœurs Humains à l'espoir. Et les Sorciers à l'abstinence de magie. Ensemble, Humains et anciens Magiciens, nous regagnerons notre dignité en prônant un monde équitable et droit car sans magie.

Puissé-je, dans un avenir assez proche, remettre au goût du jour, complètement adapter, les "Valeurs Méricaines" de "Liberté". Cela semble impossible. Tant pis. Tout ce qui compte, c’est que je sois déterminé et porté vers le haut par un Idéal révolutionnaire.