La fable des deux renards (Jadis)

Il n’est pas une personne du jour. Littéralement comme de manière plus abstraite. Il vit la nuit. Dans l’obscurité tout est décuplé. Les possibilités pour lui de faire de l’argent, les rencontres avec des gens intéressants, les occasions de s’amuser,… mais aussi les émotions des autres, malheureusement. Tout bouillonne lorsque l’astre solaire s’éteint. La lune permet les excès. Les limites se brouillent alors pour laisser place à la folie. Quelque chose de grisant. Mais tout cela peut faire peur à une pauvre petite Day. Innocente du monde de la nuit. Papillon diurne contre nocturne. Mettre en confiance. Caresser l’animal dans le sens du poil pour le domestiquer. Il veut jouer. Papillon qui se brûle les ailes à la lumière d’un lampadaire. La fin d’après-midi est plus propice à leur petit rendez-vous. Duo improbable. Il sait que si les mauvaises personnes les voient ensembles, il risque plus que quelques coups. Son coven n’est pas très friands des Day… surtout s’ils sont là pour une visite guidée. Mais le jeu est tentant… Et il n’a jamais été d’une grande sagesse. Demandez à ses frères. Il vient de se réveiller. Ses idées ne sont pas encore bien à leur place. Il serait bien resté dans son lit. De plus que quelqu’un l’aidait à le chauffer gracieusement. Ne lui demandez pas un prénom, il ne l’a plus en tête… S’il l’a eu en tête un jour. Détail sans importance. Son visage rejoindra l’oubli comme celui des autres. Il ne s’attache pas. Jadis, elle, a un prénom. Elle, pique sa curiosité… La mettre dans son lit serait la gâcher. Il y a bien mieux à faire avec une demoiselle innocente et inconsciente. Il n’aime pas les rayons de soleil qui se jettent contre sa peau. Journée trop lumineuse pour lui. Il aurait bien pris ses lunettes de soleil… s’il les avait trouvé. Son karma ne le laissera jamais tranquille. Seul dans les rues. Tout le quartier semble endormi. Il n’a pas l’habitude de le voir sous cet angle. Sentiment étrange. Monde parallèle. La fourmilière nocturne est arrêtée et il est incapable de dire s’il apprécie cela ou non. Il ne sait pas trop quoi penser de tout cela. Déboussolé. Vivement qu’il retrouve Jadis pour ajouter un peu de bruit à ces rues. Excitation d’un nouveau jouet. Tout est encore possible. Tout reste à faire. Milles et une possibilités. Il est de ceux qui prennent rapidement des décisions. Ceux qui tranchent d’un air sûr… Mais cette fois-ci, son esprit se perd dans les idées et le voilà incertain. L’heure du rendez-vous est bientôt là. Pointe d’impatience. Il n’a plus l’habitude de retrouver des nouvelles connaissances. Son quotidien est presque trop bien huilé… Il a de la peine à croire que c’est le sien. Jadis est l’étincelle qui lui faut pour remettre du piment dans tout cela. Il en est convaincu. Sourire de Cheshire. Scénario digne d’un livre, un de ceux qu’il a pu lire mille fois tellement l’intrigue est bien ficelée et le méchant astucieux. Méchant, oui. Il ne peut s’associer à un héros… Trop fatiguant, trop ennuyeux. Jadis colle bien au profil de la demoiselle en détresse. Naive. Belle. Innocente. Certainement bien lotie et destinée à de grandes choses. Peut-être qu’elle sait coudre ? Elle peut passer pour la belle au bois dormant… Quel était son nom déjà ? Aurore… ? Le soleil, là encore. Foutu soleil. Il a tendance à oublier que sans la nuit et la lune, il ne brillerait pas autant. Cette fois-ci, le méchant de la nuit gagnera des points… et si possible la guerre. Changer les contes de fée. Place à de nouvelles histoires. Il suffit de ne pas se faire prendre, de faire les choses en finesse… et fuir lorsqu’il en est encore le temps. Il n’est pas bête. Il est loin de se penser surpuissant. Lorsque cela sentira chaud pour ses fesses, il fera volte-face et se fera oublier. Il va juste en profiter au maximum tant qu’il est encore temps. En retard. Il n’accélère pas le pas. Il se fait désirer sans vraiment en avoir conscience. Etre poli, respectable, n’est pas son fort. Il s’est déjà levé dans les temps, il ne faut pas trop lui en demander. Cliché parmi les clichés. Une demoiselle de la lumière, blonde au sourire éclatant. Un jeune homme de la night, tignasse ébène et air renfrogné. Ils peuvent presque être les nouveaux Roméo et Juliette, s’il y avait un quelconque gramme de sentiment entre eux. Se contenter d’être une touriste et un guide. Le quartier ne s’explorera pas tout seul. Le point de rendez-vous est devant ses yeux. Demoiselle absente. Elle pique sa curiosité en peu plus. Rebelle ? Il l’a mal jugé lors de leur première rencontre ? Peu importe, cela lui plaît. Il est d’humeur joyeuse, prêt à cueillir toute opportunité qui s’offrira à lui.

Le Soleil lentement commence à céder son trône pour n’éclairer que par le biais de la lune, avec lenteur comme un roi conscient de sa splendeur, il range ses rayons pour éclairer une face aujourd’hui vide de vie de la Terre. Parce que si un instant on peut lui échapper parce que chacun au fond de lui sait que sans ses multiples réactions chimiques à la fois si impressionnantes et si banales, il n’y aurait pas une seule vie dans ce système. Chaque réaction procurant lumière et chaleur nécessaire à ce que les briques du vivant donnent la vie et non pas simplement des morceaux éparpillées. Sans tout cela, la magie serait restée là, somewhere in the air sans que personne ne puisse jamais comme le faisait Jadis Toegar. Ses doigts s’agitaient dans l’air, créant de multiples papillons de lumières, une goutte de sueur glissait sur sa nuque sans que cela ne la fasse frémir. Les détails des couleurs de la lumière la laissait presque pantoise dans les jeux que ses doigts produisaient, chaque photon devait avoir sa couleur particulière et son mouvement adéquat pour simuler à la perfection le déplacement de ce papillon de lumière sous les projecteurs du soleil, papillon de lumière qui revit dans vos lumières. Avec une étincelle de joie, la dernière née des Toegar ne lâche pas de ses yeux bleus cette création de photon aux ailes couleur de l’arc-en-ciel qui lentement tourne autour de sa tête avant de comme bugguer dans les airs. Rien ne marchait plus, le papillon tressautait avec violence, les ailes se découpaient et lentement le papillon s’effaçait sans qu’elle ne puisse le voir. Son don quand il rentrait dans les détails tombaient en décrépitude, le contrôle que lui apportait ses yeux et les détails tombées, son œuvre dépérissait.

Pourtant, même pas un instant Jadis ne laissa ses heures de travail presque vaines l’abattre, déjà elle retirait son t-shirt couvert de sueurs pour grignoter une barre de céréales en se regardant dans le miroir. Son maquillage méritait des retouches, un trait d’eyeliner fut tracé, en dorée en bonne day qui se respecte. Avec légèreté, elle fait tomber son pantalon pour aller fouiller dans son armoire de quoi laisser penser à Tyne que la seule menace qu’elle pouvait représenter était celle d’un chaton adorable dont on avait coupé les griffes, simplement capable de lécher et de bouder. Le genre de Day qu’on ose faire visiter les secrets de la Day, sans aucun artifice, sans qu’elle n’avait à mentir depuis ce jour où il était apparu se prétendant son proche, peut-être même son copain les souvenirs lui manquaient, pour la sauver de quelques Nights mal intentionnés. Ce qui était la règle bien plus que l’exception dans ce Coven de vils manipulateurs dont la seule arme était de faiblement attaquer l’esprit. Et pourtant, avec ses marques de coups sur le visage, ce livre qu’elle ne connaissait pas et cette bague sertie de la patte de sa mère, Jadis avait laissé son regard transparaître son excitation presque naïve, emportée sans s’en rendre compte dans son envie de l’aider. Pour un peu, Two Black Eyes auraient pu demander au Soleil de lui accorder deux ailes de lumière avec lesquelles la blonde aurait pu aller sauver le monde entier. Une destinée de héros, convaincue comme si on le lui avait répété toute sa vie, généreuse héroïne, orgueilleuse demoiselle et ambitieuse tragédienne.

Malgré les bonnes intentions qui animent aussi ses pas dansants, l’idée de pouvoir éclairer enfin les petits secrets de la Night t’excitait à outrance te faisant presque oubliée les risques pour toi aussi bien que pour Tyne. Tyne et son teint blafard annonciateur que de mauvaises choses. Les doigts légers oublient les pantalons pour leur préférer une jupe patineuse rose vert émeraude agrémenté d’un haut ocre et d’un serre-tête. Avec un but bien ancré dans cette esprit qu’on jugeait naïf au sein même de la Day : sembler ce que tu n’es pas. Soit une Day un peu naïve, sans doute stupide dans laquelle la Lune penserait pouvoir manipuler ses pensées comme elle joue sans cesse sur les marées avec facilité par sa simple présence.

« Mère, je sors pour une de ses soirées étudiantes d’Astoria. Comme promis, je rentrerais avant minuit. » A son habitude, Jadis tremblait à l’idée de laisser son regard se perdre dans les étangs gelés des prunelles de sa mère qui d’un simple coup d’œil la gelait, cessant toutes les réactions en son sein à l’origine de sa chaleur. Pourtant, c’était plus simple de lui mentir que de laisser des mots faux peindre dans l’esprit de son père des tableaux falsifiés, la culpabilité comme fardeau qui grossissait ses traits et créait de fausses perspectives. D’un signe, Jadis sort non sans esquisser quelques pas de danse sans musique, sans avoir un seul frémissement du regard des autres, son regard ne les voyait et pourtant les défié.

La nuit ne l’effrayait pas en général, le noir oui mais la nuit en elle-même non depuis qu’elle pouvait être sa propre lumière, c’est bien pour cela qu’elle furetait. Sautillante, elle vérifia une dernière fois son apparence dans la devanture d’une boutique non sans faire un petit signe de la main à la vendeuse. Ses yeux oublièrent le retard qu’elle avait déjà lorsque son regard se posa sur son collier avec une loupe gravée sur le bords aux emblèmes des Toegar. Empressée, Jadis la rangea avec attention dans son sac. Puis la famille régnante arrive toujours la dernière, c’est connu.

Son regard se colla sur le corps gracile de Tyne qu’elle aurait imaginé nonchalamment appuyé sur un mur en fumant mais il ne fumait pas. Il avait ses traits fins qui pouvait évoquer la royauté et pourtant la mâchoire marquée. La peau diaphane et les cheveux sombres, il était l’archétype de la nuit, jamais ils n’auraient dû se rencontrer, condamnés à se succéder sans jamais ne faire mieux que s’effleurer. Avec un sourire, elle s’approche d’un pas presque plus sautillant pour envoyer un énorme sourire au visage de son partenaire de visite ou de son guide, ce qui l’excitait passablement. « Tyne, tu n’as pas l’air bien réveillé, le soleil ne te va pas au teint. » Avec dextérité, les rayons du soleil se font moins forts sur son visage, les photons plus calmes alors qu’elle sourit en oubliant même de s’excuser pour son retard, ce qu’elle n’avait jamais compté faire dans tous les. « Merci de me faire visiter, j’ai tellement hâte de découvrir le monde de la nuit. Même si la logique voudrait qu’on ne s’y aventure pas mais la logique est ennuyante puis je n’ai rien à craindre, je suis avec toi. » Jadis en faisait peut-être trop, elle n’avait pas tant confiance mais au fond elle en faisait toujours trop, rien n’était dans la mesure par ces moments. Vive, elle agrippa Tyne par le bras comme pour le faire avancer. « Où m’emmènes-tu aujourd’hui ? »

Avoir quelqu’un à attendre est un sentiment étrange pour lui. Ses frères, il les voit aux aléas des entrées et des sorties d’appartement familiale. Tous y passent une fois ou une autre. Les prostitués qu’il a recruté pour le compte d’Inferno ? S’ils les recroisent un jour, c’est un miracle. Même ses connaissances ne doivent leur rendez-vous qu’au hasard de ses allées et venues dans les quatre coins de la ville. Libre. Impulsif. Il serait bien incapable d’avoir un travail qui lui imposte un horaire précis. Ou un comportement précis… Les faux sourires et les courbettes, très peu pour lui. Il ne serait pas crédible. Inconstant. Fébrilité de l’instant. Prévoir les choses à l’avance est ennuyeux. Cela enlève le grain de folie qui lui faut au quotidien pour continuer. Sans surprise, tout perd de la saveur. Sans imprévu, l’amertume de l’habituel le prend à la gorge. Non, ce n’est décidément pas pour lui. Attendre quelqu’un de temps en temps est le plus qu’il peut faire. Jadis est une de ces exceptions. Qu’elle en profite, même si ce cadeau n’est pas innocent de la part de Tyne. Elle n’en a sûrement pas conscience. Ingénue. Bercée dans l’or et l’argent, elle ignore tout du monde de la nuit. De ce monde qui ne laisse pas la place à la candeur et qui fait grandir plus vite qu’il ne le devrait. Il ne se rappelle pas avoir attendu quoi que ce soit des autres. Un Night doit prendre les choses car rien ne lui sera offert. Les abysses de l’esprit sont les raccourcis les plus souvent empruntés, inutile de le nier. Vingt-six ans qu’il explore l’esprit de ses compères sorciers… tout du moins leurs émotions. Il n’est pas sans savoir leur noirceur… Mais pas seulement. Il peut y avoir des choses plus lumineuses que l’on imagine dans le coeur d’un Night. Peut-être qu’il faut juste fouiller un peu plus profondément. Il la voit apparaître. Lumière qui virevolte. Luciole. Cela lui va bien comme surnom… Luciole. Quelque chose d’éphémère dans sa vie qui le distrait pendant quelques instants. Poétique. Il réfrène un sourire. Ne pas lui faire peur tout de suite. Les lucioles s’enfuient vite. Pas réveillé ? Il grimace. Il ne peut pas la contredire. Visage d’ange. Elle ne se doute de rien. Il aurait presque pitié d’elle… Alors qu’il va la saluer, il s’étonne. Sensation étrange. Rayons de soleil qui s’atténue… ? Il ne sait pas trop que croire. Il reste interdit plusieurs secondes. Plus il comprend au sourire de la demoiselle. Un don. Il ne cerne pas complètement lequel cela pourrait être mais il ne peut en être autrement. Aucun nuage ne s’est brusquement installé au dessus d’eux. Etonnante… Elle pique encore une fois sa curiosité. Il lui sourit bel et bien cette fois-ci. Enfant de la lumière. Elle lui sort son numéro de petite fille modèle prête à se faire brûlée les ailes… Cela sonne à moitié creux. Il sait qu’elle n’est pas si plate que cela… Il se doute qu’elle se pense assez intelligente pour éviter les pièges de la nuit… Si elle veut jouer le rôle de l’écervelée qu’elle le fasse, le jeu n’en est pas changé. Le scénario n’est pas fixé d’avance et c’est en cela qu’il est excitant. Oui, elle est avec lui… Et c’est cela qui la perdra. A trop faire semblant d’être inconsciente, elle va baisser sa garde, il en est persuadé. Sa défaite n’en sera que plus amère. Lorsqu’elle se rendra compte du traquenard, elle n’osera sûrement plus mettre un pied dans le quartier. Dommage, le coin dispose de si beaux néons la nuit… « Il y a bien pire que moi dans ce quartier… même des gens contre qui je ne peux rien… » Il ne ment pas. A commencer par son père. Sa voix est néanmoins douce, réassurante. Le jeu des mesures. Lui faire juste assez peur pour entretenir un brin de mystère sans qu’elle ne fuit. Il sort une cigarette et l’allume aussitôt. Il ne demande pas si cela dérange la demoiselle. Elle devra s’y habituer si elle veut le fréquenter. Peut-être que c’est l’image du bad boy qui la séduit ? Il rit intérieurement. Il n’a jamais compris ce cliché. Ce qu’il veut lui montrer ? Rien n’est organisé. « Essaie juste de ne pas t’éloigner de moi… les rues sont de véritables labyrinthes. » Vérité implacable. Elles sont faites pour semer les touristes et les rendre fragiles, vulnérables au bon vouloir des membres du Night Court. Rien n’est laissé au hasard ici… Il suffit qu’il tourne trop vite dans une rue et qu’elle ne le suit pas à la seconde pour qu’il s’évanouisse dans la nuit. Quartier de mirages. Il commence à marcher sans regarder derrière lui. Elle suivra. Elle n’a pas trop le choix. Son pas est lent. Mesuré. Rien ne sert de se presser. La nuit s’étend lentement. Il tire sur sa cigarette. La fumée lèche son visage en virevoltant. Mauvais garçon et gentille fille. Le schéma qui se répète à l’infini. Famille rivale, ennemis mortels. L’un n’existe pas sans l’autre. L’autre n’apparaît qu’en éloignant le premier. « Mais toi, que cherches-tu ? Du frisson ? Des visions d’horreur ? » Sa voix laisse transparaître son amusement. Elle n’est qu’une gamine. Elle ne sait rien. Elle ne sait pas vivre par elle-même… Survivre. On n’apprend pas cela chez les Day. Ils n’en ont jamais eu besoin. Contrairement à l’ombre, la lumière ne se cache pas. Les immeubles les surplombent. Gigantesques. Décorés de leurs peintures de guerre, tags luminescents. Loin des richesses matérielles de l’Upper East Side. Ici il se sent à sa place. Que Jadis profite du spectacle. Bientôt ce monde s’illuminerait. Il se demande si elle aura le courage d’attendre que le monde de la nuit se réveille. Elle se démarquera parmi les sorciers du coin. Trop solaire. Tous les regards seront sur elle. Comment encaissera-t-elle cela ? Il ne s’inquiète pas. Honnêtement, qu’importe ce qu’il se passera, il en sera divertit… Mais il penche pour le fait qu’elle a déjà l’habitude d’attirer l’attention. Juliette sur la scène. Est-ce que le décor lui plaît ?