Red lies (Solstice)

Elle a fait une erreur. Une erreur qu’elle paie désormais âprement. Une décision prise en quelques secondes à peine, nourrie par une anxiété la prenant à la gorge et du sentiment terrifiant d’être observée. Ce qui n’était pas le cas. Mais personne ne pourrait reprocher à Solstice sa paranoïa. Personne ne connaissant la vérité en tout cas. Elle survit guidée par la peur, Solstice. Les yeux bleus toujours alertes et concentrés. Constamment en mouvement. Prête à fuir dans l’instance s’il le faut. Prête à attaquer lorsqu’elle le doit. Elle est tel un animal acculé. Plutôt mourir que de retourner au sein de l’aube. Que de perdre de nouveau son esprit. De n’être plus qu’un pantin, une marionnette sans vie obéissant aveuglement aux ordres qu’on lui donnerait.

C’est comme ça qu’elle se retrouve la jambe en sang, allongée sur le sol sale, incapable de se relever, regardant le liquide incarnat suinter contre l’asphalte. Du Rubis sur la neige blanche. La peur qui l’a poussé à s’enfuir alors qu’elle ne risquait rien. Sans regarder. Une mauvaise chute sur des débris dangereux. La douleur intense et puis le sang. Maintenant il faudrait se relever. S’en aller. Mais elle en est strictement incapable. Solstice ne peut qu’attendre et cela la terrifie d’autant plus. Elle a essayé de faire quelques pas, mais à finit par s’écrouler dans la ruelle, incapable d’aller plus loin. Personne n’est venu, lui imposant le constat amer de sa paranoïa. Il n’y avait pas de menace. Juste un mirage, fragment imaginaire d’un esprit abîmé. Un cauchemar et non pas la réalité. Encore une fois son cerveau éclaté agit à ses dépens, la rendant plus vulnérable que jamais. C’est une proie facile en ce moment Solstice. Un corps fragile recroquevillé dans le froid, de longues mèches blondes qui tombent le long de sa silhouette penchée, ses mains qui se crispent autour de sa blessure. Sa conscience qui va et vient. Des tâches noires qui apparaissent devant ses prunelles.

La peur revient, plus forte que jamais, lorsque retentit une voix. Elle devrait être soulagée pourtant. Sans aide elle ne pourra pas rentrer chez elle. Elle continuera simplement à se vider de son sang dans l’air glacé, jusqu’à ce qu’elle ne soit qu’un cadavre glacé de plus à découvrir au petit matin. Ses paupières s’entrouvrent faiblement, les cils clairs glissent contre sa joue. Elle peut entendre un appel. Une voix qui ne parait pas menaçante. Peut-être qu’il s’agit bien d’une aide après tout. Mais lorsqu’elle ouvre ses immenses yeux bleus, un mouvement de recul involontaire lui échappe. Un spasme issu de la plus pure des angoisses. Lui. Un médecin de l’Aube. Elle le connait. Elle l’a déjà vu. Fuit. Surtout il ne doit pas s’approcher. Ne doit pas la toucher. Un faible gémissement lui échappe lorsqu’elle essaye de reculer. Futile tentative de se mettre hors de portée. « Non, non, non, non ». Un chapelet de négations qui sort de ses lèvres comme une prière. « Ne me touchez pas. Allez-vous en ». On pourrait croire en la voyant, au délire d’une patiente affaiblie, incapable de se rendre compte de ce qu’elle dit. Mais elle sait Solstice. Il est de l’Aube. Et derrière les sourires affables ne peuvent que se cacher la cruauté. « Pas vous ». Le dernier mot est murmuré alors qu’elle tente de s’appuyer sur sa jambe gauche pour se relever. La tentative échoue brusquement et elle s’écroule au sol une nouvelle fois. « Laissez-moi. J’arriverais à me débrouiller. » Mensonge évidemment. Comme tout ce qu’elle prononce. Mais elle préfère encore risquer de mourir ici, Solstice, que de faire confiance à un homme comme lui.

La terreur. Ce sentiment familier qui revient la hanter. Une vieille ennemie qui ne l’a jamais vraiment quittée. Qui sait se faire discrète pour mieux revenir, dévastant tout sur son passage. Une tempête d’émotion qui met à mal son esprit déjà fragile. Il y a des larmes qui viennent perler au coin de ses grands yeux bleus. Parce qu’elle se souvient. Cette impuissance face au danger elle l’a déjà connue. Déjà vécue. Et elle en est ressortie brisée par des mois de tortures. Elle préfère mourir que d’y retourner Solstice. Pour de vrai cette fois. Pas dans un incendie factice qu’elle a elle-même allumé. Mais qui pourrait la blâmer ? Personne. Ou du moins personne sachant ce qu’elle a vécu. L’inventivité de la Dawn est terrifiante lorsqu’il s’agit de détruire ceux qui les entourent. Ceux qui leurs sont inférieurs. Ceux qui sont différents. Elle ne sait pas ce qu’ils veulent tirer de ceux qui lui ressemble, Solstice.

Elle sait juste que cela ne peut pas continuer. Non pas qu’elle pourrait y faire quoi que ce soit. Mais peut-être qu’un jour, quelqu’un d’autre le fera. La blonde déglutit péniblement. Ses muscles sont raidis par la peur, mais la tête lui tourne. La perte de sang se fait sentir. Pas encore critique mais qui pourrait le devenir. La blonde se force à se calmer. A respirer. Calmement. Inspirer. Expirer. Faire semblant que tout va bien. Que sa situation n’est pas désespérée. Qu’elle ne va pas devoir accepter l’aide d’un de ses pires ennemis. Qu’il n’y aucun risque qu’il ne reconnaisse ce qu’elle est et ne la renvoie dans le giron de l’Aube pour y être de nouveau torturée. Elle carre sa mâchoire, les lèvres serrées. Il est trop près. Elle doit lutter contre tous ses instincts pour ne pas utiliser les maigres forces qui lui restent pour l’attaquer.

Elle ne peut pas. Ne doit pas. Le destin doit avoir un sens de l’humour particulièrement amer pour que cet homme devienne son seul espoir. Quand il parle elle a envie de hurler. A la place c’est en lui crachant presque qu’elle réponds. «  Je ne vous prends pas pour qui que ce soit d’autre. Je connais les gens comme vous. A faire semblant de se préoccuper de nous. Mais seulement jusqu’à ce que ce ne soit plus dans votre intérêt. » Comme Basil. L’ami d’un jour qui est devenu son pire ennemi. Celui qui l’a vendue. Trahie. Un monstre au visage amical auquel elle pensait pouvoir faire confiance. Elle ne fera pas deux fois la même erreur .

Il a le manteau qui s’abat sur ses épaules. Et elle ne proteste pas. Reconnaissante pour la chaleur dans laquelle elle vient s’engouffrer mais refusant de dire merci pour autant. « Je sais qui vous êtes ». Elle l’a déjà vu. Fuit, pour être plus exacte. Alors qu’il essayait de la soigner. Dommage qu’elle ne puisse pas en faire autant aujourd’hui. « Mon nom n’a pas d’importance. Pas pour vous. » Et les gens comme lui. « Pour vous je ne suis personne. Ou peut-être juste la dernière bonne action dont vous pourrez vous vanter. Ou dont vous pourrez vous servir pour apaiser votre conscience. » S’il n’est peut-être pas le mal incarné il n’est pas moins coupable. L’inaction est parfois un pêché. Avec reluctance elle hoche la tête suite à sa dernière question. « Allez-y. Pas besoin de faire dans la dentelle. Je veux juste pouvoir marcher et puis je partirais. » Peu importe si la plaie est à peine recousue. Du moment qu’elle tient debout, ce sera suffisant pour Solstice. Elle veut juste pouvoir s’échapper de ce malheureux hasard le plus vite possible.