don't hide, don't hide ✧ blaze

Blue, elle avait les pieds nus appuyés contre la céramique de la baignoire, la tête rejetée en arrière, les cheveux pendant dans le vide. La nuit était inhabituellement chaude pour une soirée d'automne, une lourdeur maladive comme une fièvre de dragon qui suinte de la chaire d'un air un peu fétide.

Elle ne dort pas, pas vraiment, elle somnole seulement, l'esprit vacillant, en position foetale. Le bruit de l'horloge résonne sous son crâne avec un "tic tac" de métronome, un martèlement lointain de titan. Elle remue mollement, frémissante de chaleur, comme abruti par une demi-douzaine de canicules grippées. Mais ça, c'est dans sa tête - beaucoup de choses ne se passaient que dans sa tête.

Sa culpabilité, une fois plongée dans la pénombre, avait toujours sut se faire écrasante. Elle l'avait bien trop souvent contemplée pour encore en être effrayée, mais pas assez pour parvenir à s'en détourner. Elle lui préférait la toile encore brillante des étoiles - des astres qui s'ancre sous la tiédeur des nuages. Elle était presque tangible sous ses doigts, une masse noir et un peu difforme qui se fondait dans le marasme de sa somnolence.

Blue, elle la regardait presque, l'ombre du géant qui rodait autour d'elle, son marcheur de minuit, son fantôme arpentant les rives du Styx. Et il n'y avait rien qu'elle puisse lui dire, lorsque sous le poids de son souffle, sa silhouette s'effrite, se tord et s'agite avant de repartir. Dans un tic tac de métronome. Qui perce sous son crâne. Se mêle à la nuit et aux étoiles. Et de ses cils qui s'agitent, qui s'abaissent dans un battement presque frénétique. Pour repeindre le décor de salle de bain.

Juste ça.

▬ Folle folle folle. Ma pauvre fille, tu finiras par devenir complètement folle.

Et quelque part, cette idée là lui faisait très mal au ventre.
Parce qu'elle se sentait glisser dans quelque chose qu'elle ne connaissait pas, engluer dans un bordel qu'elle ne contrôlait pas. Parce que la pierre, blottit au creux de son poignet lui rongeait l'esprit, lui perforait l'estomac. Qu'elle teignait le brun de ses yeux des teintes un peu trop ternes des éclats de chagrins. Et qu'elle savait plus comme tout réparer. Comment se réparer, et s'il restait seulement quelque chose qu'elle pouvait encore réparer.

Alors elle écoutait, son souffle un peu trop lourd, ses paumons qui se gonflent, et qui libèrent. A l'aveugle, elle pose sa main sur son abdomen, pour une inspiration et une expiration. Pour sentir son coeur se gonfler sous le poids de cette simple impulsion.

Et quelque part dans son gouffre, les oiseaux maudits se soulèvent en pagaille et le ciel s'obscurcit du battement de leurs ailes. Et les paupières s'abaissant, dans l'ombre d'une nuit sans rêve.

Blue ouvre les yeux à l'entente de la voix de Mazen, si fort et si vite qu'elle se sent compresser, la tête prise dans un étau douloureux qui la fait grimacer. C'est étourdissant, cette sensation de sentir le monde valdinguer, privé de son axe et de sa stabilité. Elle laisse échapper une plainte étouffer, une main posée sur sa tempe.

Le temps de l'entendre la congédier.
Le temps de le voir s'éloigner.
Et le noeud dans son estomac se resserre soudainement - plus lourd, plus étouffant. Un silence. Le grésillement de l'ampoule accrochée au plafond. La fin des déambulations du spectre de son imaginaire. Juste ça. Juste les doigts de Blue qui viennent se resserrer autour des siens, légers comme des plumes d'oies, délicats comme une corole,  à peine présents.
Blue qui le fixe sous la frange de ses cils, qui chuchote du bout des lèvres, presque timide:

▬ Pardon.

Pardon d'avoir dit ça, d'avoir été tout ce que je déteste, tout ce que j'ai toujours refusé d'être. Une créature trop amère pour faire la différence entre le mal et le bien.

▬ Tu es... Je ne comprend pas ce que tu es, pour moi. J'arrive pas à te détester. Je... Je te fais confiance et je me sens coupable pour ça. Je... Je suis juste désolée de t'avoir blessé parce que tu as toujours été gentil avec moi.

Elle ne lui laisse pas le temps de répondre.
Ca se bouscule soudainement, entre ses lèvres, contre son front. C'est irrépressible, ce besoin d'obtenir son pardon, de s'assurer qu'il comprend. Que Blue, elle n'avait pas voulut lui faire de mal. Que c'était sortit malgré elle, injuste et horriblement cruel. Qu'elle l'appréciait, de cette façon un peu coupable, un peu maladroite, de celle qui ne devrait pas. Et ça, ça tiraille fort quand ça s'échappe.

Mais elle a cette impression un peu misérable qu'elle n'a pas le droit de lui dire ça, maintenant qu'elle a piétiné sa gentillesse, qu'elle l'a balayé d'une simple phrase, d'un simple geste. Qu'elle n'a plus rien à faire ici Blue, chez lui.
Qu'elle a souillé trop de chose déjà.

▬ Je ne vais pas te déranger plus longtemps mais... je voulais juste que tu le saches.  

C'est pas grand chose -  c'est presque rien, en vérité et peut-être même qu'il s'en moque de Blue et de ses états d'âme, de son coeur qui se serre et de son ventre qui trébuche. Peut être bien qu'il ne désire rien de plus que de l'envoyer paitre. Mais une part d'elle -plus petite et plus faible- se doutait bien qu'il n'en était rien et qu'entendre ça, lui ferait surement du bien.  

Alors elle relâche sa main, pour lui donner la possibilité de s'échapper, de ne pas prendre la peine de lui répondre si c'est ce qu'il désirait.  Elle l'observait juste, les genoux remonter contre sa poitrine, la tête incliné dans l'attente d'une réaction, d'une condamnation.

C'est pas facile. D'avoir les bons mots, les bons gestes face à telle ou telle situation, de savoir quoi dire lorsque tout se faisait inconstance, lorsque tout devenait tempête sous l'écran de ses paupières, sous la vague de leur misère. Lorsqu'elle pensait qu'il ne pouvait pas comprendre Mazen, ce que ça faisait d'être elle. De ne pas pouvoir être simplement humain. Qu'il n'y avait rien de simple dans une relation entre sorcier et humain, que la bonté individuelle se limitait au mur d'une demeure, qu'un fois hors de cet appartement, un fois hors du cocon de son indulgence, elle retombait dans les rouages d'une bien sombre machination.

Un ségrégationnisme banalisé.
Une forme de servitude institutionnalisé où elle était incessamment soupçonné et rabaissé par le simple fait d'être née sans magie, doublement condamné après que la pierre lui ait offert le pouvoir de guérir autrui. Ce n'était pas simple d'être attaché à un sorcier. De sans cesse s'en vouloir de lui dénicher d'innombrables qualité. Rien de plus qu'une naturelle gentillesse qu'il ne prenait pas la peine de réprimer. Alors Blue, elle prit une longue inspiration. Avant de s'extirper de la baignoire, contournant le corps de Mazen pour se planter devant lui. Pathétiquement frêle face à sa carrure propre aux hommes de son coven.

▬ Je te fais confiance.

Sa voix tremblait - un peu- c'était irrépressible, ça grouillait sous sa peau, frissonnait sous la frange de ses cils. Elle n'aimait pas se mettre à nue, elle n'aimait pas décortiquer ce qui lui traversait l'esprit, le verbaliser pour y apposer une signification ,y rattacher des signes. Mais plus que tout, elle détesterait ne pas être comprise. Elle haïrait le simple fait de ne pas avoir put guérir l'égratignure qu'elle avait apposé sur son coeur. Parce qu'il avait prit soin d'elle. Parce qu'il avait voulu soigner sa joue meurtrit. Parce qu'il avait trembler de rage sous ses yeux comme si sa douleur était sienne.

▬ Et je t'apprécie, je me sens bien ici.. Je n'en ai pas le droit, mais ici, c'est une.... c'est une sensation que j'ai jamais eut. Quand quelqu'un prend soin de toi, laisse à manger pour toi, des bonbons par ci, par là. C'est... C'est beaucoup plus que ce qu'on a fait pour moi auparavant.  

Blue qui avait toujours dû vivre comme un parasite, à vivre cacher, planquer dans les maisons désertés, les ateliers mal fermé, pour grappiller tout ce que son père n'avait jamais daigner lui donner. Qui avait vécu l'arriver de Kaz dans sa vie comme le plus incongru des miracles - Kaz qui la faisait toujours rire, qui n'avait poser aucune question, qui avait simplement apprit à lui faire confiance. En lui dévoilant petit à petit des pans de son existence. Il illuminait ses nuits d'insomnies, auprès de lui, elle en devenait presque sympathique - son conteur de minuit, bien plus tendre que n'importe quelle tige de Delphi.

Avec Mazen, c'était différent. Il n'était pas aussi fantasque et inconstant, tenait bien plus du Capitaine Crochet que du Peter Pan. Mais c'était indicible, cette sensation qu'elle ne retrouvait qu'une fois assise près de lui. Parce qu'il était rassurant, parce que sa constance avait quelque chose de réconfortant. Une sévérité à laquelle elle n'avait jamais pu se référé, une bienveillance étrangère qu'elle redécouvrait.

▬ Je crois que c'est juste compliqué de se dire que j'ai le droit de t'apprécier toi. Mais ces choses là, mes problèmes de conscience, ça n'a rien  à voir avec toi. C'est juste moi qui déraille et qui gère pas.