((dead king eats the gods))

- soundtrack -

et au bout du gris nocturne il y avait le fantôme. ruisselant d'eau de pluie et silencieux, la lueur pâle tremblotante, des larmes sûrement dans ses yeux que personne ne peut voir le garçon qui venait juste de renaître s'avança vers lui parce qu'il était enfin prêt et le traversa en ressentant la brûlure de la première fois l'étincèle poudrée qui fait mal et bien et transperce la membrane fine chair tendre de la fin de l'enfance. un cri et un jet de sperme argenté les yeux révulsés parce que ivres de joie le temps n'en finit pas même quand la nuit vire au noir et que l'enfant et le fantôme n'existent plus que dans l'ailleurs

Il a l’impression de lâcher membre après membre sur le bitume à mesure de sa course. Le sang lui bat aux tempes et s’enroule en tentacules étroits autour de son cerveau. Pulse, pulse, pulse. Il court comme il a rarement couru, se retourne pour voir où en est l’autre enculé. Réponse : juste derrière toi, connard. Usek croise son regard, et ils ne peuvent retenir un rire étranglé, un souffle exténué dans lequel pique l’adrénaline. Ils accélèrent tandis que la salive qui afflue dans sa bouche l’étouffe à moitié. Leurs sneakers tapent le rythme de leur fuite contre le sol en taptaptaptap hystériques. Ils dépassent le terrain vague sur lequel ils sont moyennement à l’aise pour entrer en plein dans leur zone de confort : le ventre de la ville, le long de la rive et les docks. Leur souplesse est décuplée à mesure de leurs bonds : Usek saute par-dessus une barrière, les jambes immenses de Ciar l’emportent sur le toit d’une voiture qu’il traverse au pas de course et bondit jusqu’au sol, retombe sur ses pattes sans cesser de courir. Droit vers le mur qui se trouve au fond de ce cul de sac ; ils le connaissent par cœur. Leurs poursuivants hésitent à sortir les guns : ça aura le mérite de ralentir ces deux petites merdes, mais en plein downtown, c’est risqué… trop risqué. Ces salopes savent parfaitement ce qu’ils font – ils pensent en serrant leurs grosses dents patinées par les coups qu’ils ont reçu en trente ans. Le plus sévèrement tanké des deux hallucine, les yeux écarquillés dans ses orbites trop larges pour eux. A ce rythme, ils vont se faire baiser par deux gosses, deux putains de wicked. Il suit du regard leurs deux culs minuscules dans leurs jeans crades s’élever le long du muret qui barre la route, et fait signe d’un mouvement brusque à son collègue de monter à son tour. Impossible de leur choper ne serait-ce qu’une cheville : ils ont déjà sauté par-dessus comme si de l’autre côté se trouvait une gigantesque piscine. A son tour, il atterrit en ployant les jambes, se retient d’une main et repart à toute allure. Les cheveux noir du gitan sont un bruissement d’ailes dans le vent.

je suis la chambre vide des morceaux de l'image obscure un bruissement de ténèbres qui s'évanouit

— Tu vas trop loin... non ?... Lentement, modérément, Ciar se tourne vers Tommy et l’observe avec froideur. — Je suis pas certain de capter, tu peux me la refaire ? Sa phrase est hachée menue tandis que ses doigts enfoncent la seringue dans la chair trop tendre de la gamine. La petite s’appelle Yiulia. Produit parfait du coven de dawn, vouée à se noyer dans l'entre-deux. A défaut de trouver un mari fortuné, elle essaie de voler de ses propres ailes. De s'approcher du soleil avec des mécanismes de sa propre invention. Ses airs éthérés ont plu à un gourou, potionniste prestidigitateur amateur de nymphette, toujours accompagné d’une petite blonde pendue à chaque bras, le poil dru au torse et l’éternelle montre d'or et de diamants au poignet. Yiulia est devenue une habituée du viol et de la pornographie. S’est-elle rendue compte de cette escalade dans la violence et la maltraitance ? Absolument pas. Persuadée de continuer à exercer son art dignement et de vivre une histoire d’amour particulièrement sincère avec un grand sorcier-philosophe, Yiulia grandit, est de toutes les soirées, et aspire sa came sur les tables, tous les testicules de tous les amis, proches ou lointains, de celui qui lui fait miroiter un mariage « dans l’année ». Yiulia fait partie malgré elle de cet univers. Elle n’a rien à foutre là, si ce n’est qu’elle a été happée par le capitalisme sauvage et qu’elle est devenue un bien de consommation. Le coven de Dawn, quand il apprendra les dessous du spectacle, ne manquera pas de la dégager. Elle l'ignore encore. Pas Ciar. Le film de sa vie, il en connait déjà la fin pour l'avoir vu au moins des centaines de fois. L'hypocrisie des covens, la persistance crasseuse des apparences et des dorures périmées, est une chose qui ne pourra perdurer éternellement. Au milieu des révoltes qui s'annoncent, des explosions sourdes qui font trembler la terre de New York depuis des mois, Yiulia fait office de musée vivant. Une statue à attraper fermement dans un couloir sombre, à l’étage de la villa privée, cachée de ce magicien  que tout le monde adule pour ses effets visionnaires, ses potions d'oubli. C'est Yiulia qui oublie, dans les vapeurs sordides de la came, là d'où elle vient et là où elle va. C’est elle qui, ivre morte, tend son bras à Ciar Rawlings afin qu’il plonge à l’intérieur de sa peau veloutée une aiguille blindée d'une drogue iridescente. C’est elle que Jake observe d’un œil rempli de pathos, son joint chargé à l’opium entre les doigts. Ciar retire le piston rempli du sang de Yiulia pour appuyer de nouveau et insérer dans sa veine gonflée le liquide extatique que vous savez. — Elle te fait de la peine, Jake ? Il demande aimablement, comme s’il participait à une discussion banale sur le temps du jour, sauf que sa voix ne trompe personne. Jake vrille et rive les yeux contre le parquet branlant. Trop tard maintenant : il sait que Ciar attend et qu’il va devoir sortir une réponse sans quoi il peut dire adieu à son fix. — Elle n’est pas consciente de ce qu’elle fait. Elle est dépassée. On pourrait peut-être… lui éviter le coup mortel. Ciar le regarde un moment, sérieux – mais l’ironie profonde occupe l’essentiel de son expression. — Eh bien. Qu’est-ce que tu attends pour l’arracher de là ? Il lève la seringue au-dessus de sa tête en imitant La Liberté guidant le Peuple. — Qu’est-ce que tout le monde attend pour l’arracher de là ? Les trois autres s’abstiennent de répondre, mais c’est peut-être plus à cause de la défonce. Ciar sourit. — C’est pas elle qui te fait de la peine, Jake, c’est toi qui te fais pitié. Il tapote le bras inconscient de la nana, posé sur sa cuisse. — Elle te renvoie ton propre enfer, elle te fait réaliser que t’es là, toi aussi, que tu consommes avec elle et que si tu avais pu – je veux dire par là, si t’avais eu les couilles –, tu lui aurais demandé une pipe en appréciant l’absence de capote. Comme tout le monde, il lâche entre ses dents, s’assombrissant en se détournant de lui. — C’est vous que vous essayez de sauver, avec votre compassion à la con. Soudain, comme un guépard surgit de derrière un buisson épais, il darde sur Jake un regard aux lueurs malsaines. — Moi, je vis avec ça, tu vois. Peut-être que je la sauve pas, mais à chaque fois qu’elle sombre, je descends avec elle. Y’a rien qu’elle fasse que je fasse pas aussi. La seringue, remplie du sang de Yiulia, peut-être aussi du sida de Jake, frôle puis perce la chair du bras de Ciar, s’enfonce au creux des dessins à l’encre noire tandis que son doigt presse le piston pour la seconde fois.

the sky is a dark bowl, the stars die and fall
the celestial bows quiver,
the bones of the earthgods shake
and planets come to a halt
when they sight the king in all his power,
the god who feeds on his father eats his mother

Dans le crépuscule rougeâtre de Niflheim, la glace est pourpre, le froid de braise. Les morts tapent leurs mains sans chair contre les tambours de vieille peau tendue comme des os tissés de poussière. Sur Hvergelmir, la barque de bois fend la lave aux rebords stalagmites. La cape de Raw est une étole de sang arrachée aux entrailles de Fenrir et offerte par Vidar, un sourire mauvais en coin. Le long des tatouages noirs qui recouvrent ses bras, des écailles sont incrustées dans sa peau comme autant de pierres précieuses. Jörmungand, son frère, lui en a fait cadeau. Il sourit tandis que la barque rejoint les douze rivières. Antre des serpents, dans l’humidité suffocante qui nait de la cendre et de la fumée entremêlées. Depuis le fond de Ginnungagap, les yeux des serpents étincèlent dans les ténèbres. Personne ne mange les dieux à l’exception du roi mort, susurre une voix inconnue dans une langue inconnue sortie du ventre de Raw. C’est sa voix. Tapis dans l’ombre, les serpents s’inclinent, l’éclat de leurs écailles répondant aux iridescences gravées dans la peau de Ciar aux dessins onduleux. La barque vient heurter la rive sans qu’aucun son ne naisse du choc. Debout et nue sur la terre l’attend la vieille. L’éternité semble l’avoir rongée jusqu’aux os, ses joues ne sont plus que deux triangles railleurs et ses yeux tristes, enfoncés dans leurs orbites, observent Ciar comme si plus rien d’autre n’existait que lui – c’est la vérité. Raw se penche et tend un bras, puis une main vers la vieille. Maman, murmure-t-il, encourageant. Les yeux de sa mère adoptive sont des yeux d’infini : deux parchemins sur lesquels la nuit des temps a étendu son ombre géante. Maman. La surface de l’eau n’a pas de forme ni de mouvement. Maman, l’éternité, murmure à nouveau Raw tandis qu’il se penche un peu plus et que ses doigts viennent frôler la joue de la vieille dont les paupières s’écarquillent et prenant conscience de son éternité et de la présence de Ciar à ses côtés ses pupilles dévorent l’espace de ses yeux. Dans le noir brillant qu’elle pose sur Raw, Raw se distingue en reflet. Une longue mèche de cheveux d’or barre son visage. L’un des côtés est blanc d’albâtre, l’autre est bleuâtre, la chair tuméfiée et déjà pourrie se gondolant comme un morceau de cendre que ferait danser le souffle du vent jusqu’à se laisser tomber pour laisser la place à l’immaculé. La vieille ouvre la bouche, et entre ses dents sort ceci une seule note jetée dans le gouffre sans fond du souterrain dévorant la racine des arbres sacrés : Ciar. Lumière argentée explosa dans ses yeux.

Le souffle coupé. Il va se mettre à gerber. Contorsion sur le côté du lit et gueule jetée en avant, prête à tout dégueuler en une rafale courte et sèche. De la bile noire de sang explosé en milliards de petites bulles contre le tapis blanc. Un serpentestin se faufile de son ventre au long de sa gorge et jaillit en une longue gerbe jaune. Les écailles ensanglantées propulsent des éclats rouges contre le mur. Se glisse sous le lit, effrayé par lui-même et la violence de sa propre naissance. Nom de dieu de putain de bordel de merde. Il s’étouffe, ses mains crispées agrippées au rebord boisé du lit, quand il abaisse le regard sur ses doigts. La mue les recouvre, blanche et lubrifiée, laisse transparaitre au travers elle la peau à vif, rose rouge aux veines palpitantes. Dans un hoquet, il s'affaisse à nouveau et le souffle s'évade dans la chambre, quitte son corps qui retombe mou et inerte sur le matelas, et de sa bouche entrouverte s'échappent à nouveau quelques serpents pressés.

Il ouvre les yeux sur la noirceur de la pièce. Le lit vide en face du sien lui renvoie le rictus amer de sa propre solitude. Belle soirée pour crever, il pense, à l'écoute de son rythme cardiaque palpitant exhumant de vieilles peurs qui, autrefois, le recouvraient d'une laque de sueur collante. Toujours ce boumboum lancinant qui prend comme une rage de dents, une douleur ineffable qui possède, insidieusement, son apport en extase. Ces rêves, une nourriture des dieux. C'est lui qui vient de dire ça ? Ces langues inconnues qui s'évadent de ses tripes, ces lamentations et ces poèmes langoureux qu'il sent poindre en perles lactées au bout de son. Un délire. Toujours. Mais la répétition, le quotidien ne créent pas l'éternité. Il va falloir arrêter. Il serre les poings et sent les opercules de ses ongles s'enfoncer dans sa chair. Aucune douleur. Les sensations se sont éteintes au réveil, le sourire et l'espoir autant que la possibilité d'une éjaculation salvatrice. Face à lui, la noirceur de la pièce. La bouche d'ombre. Les yeux multiples, indénombrables de Jörmungandr parviennent à percer l'épaisseur des ténèbres. Il se recroqueville sous le drap. Cet enfoiré s'avance vers lui, ondule du ventre et fait résonner son lent s extatique, et il aperçoit les écailles de ses narines former de petites bosses diamantées au-dessous de ses yeux rivés sur lui. Ne me fais pas ça. Son gland est dur comme deux pierres de chair violacée, irrémédiablement attiré par les sifflements sourds du serpent-monde. Un liquide brûlant s'écoule de son sexe et affole Jörmungandr dont la tête gigantesque s'abaisse, les narines s'entrouvrent, aspirant l'air et les particules de lui qui jaillissent de chaque béance de son corps. Le goût de Raw. Il sait qu’il meurt à l'instant où Jörmungandr entre en lui. Sexe, poignard et dieu, il aspire en même temps que lui son dernier souffle, et la chambre devient soudain si froide que l'air se transforme en nuage de cristaux blancs. C’est son ventre qui tremble, et fait gronder l’univers. C’est la chair molle tapie sous ses ongles qui s’enfonce dans la terre, réveille les morts alors que ses doigts s’allongent jusqu’à leurs bouches béantes et plongent dans leur gorge, emplissent leur poitrail de son sang mélangé au sperme du grand, grand serpent ouroboros. Le sperme jaillit de l’anus des morts et leur bouche vient se coller à leur cul, y soufflant une musique cosmique. Cercles de feu s’allument en-dessous de l’univers. Tertre brun venu brûler la plante des pieds des enfants dansant en rond autour de l’arbre de vie. Enterrez vos morts et donnez-leur
de quoi les suivre
là où le roi mort mange les dieux.