It's a kind of magic (Nolan & Terence)

Nolan n’avait aucune idée de ce qu'il fichait là.

Accoudé au bar, il fixait d’un air apathique son date du soir, essayant désespérément de se noyer dans son cocktail. Son cerveau commençait à dériver dans sa boîte crânienne, emporté par le rhum ; il sentait presque ses neurones dégoutter de ses oreilles et de ses narines. Peut-être qu’il devenait cinglé. Ou alors il avait trop bu. Ou trop pris de drogues magiques. Il ne savait plus. Il ne savait rien.

Il avait l’impression d’être dans un bocal, un aquarium géant dans lequel les poissons étaient affublés de costumes et lui jetaient des regards en coin, mi-charmeurs mi-moqueurs. Mais aussi attrayants qu'ils puissent être, ils restaient des poissons, et aucun d’eux n’attirait spécialement son attention. Et surtout pas celui qui lui faisait face, grand échalas au sourire trop large qui dévoilait de petites dents de piranha. Pourquoi avait-il accepté de le suivre jusqu'ici ?

Nolan soupira et trempa les lèvres dans son verre au goût de fraise chimique, de banane, de rhum et d'orange. « Est-ce que tu m’écoutes ? » finit par s’agacer son interlocuteur, s’agitant sur son siège. Le wicked - qui avait préféré dissimuler à son compagnon son statut de banni - haussa les épaules. Il avait l’impression que les mots bourdonnaient autour de lui comme de petits insectes, aussi désagréables qu’insaisissables. « Hé ho, Jayden ? » Nolan ne répondit pas. Son regard venait d’accrocher des prunelles d’une belle couleur chaude et il resta figé quelques secondes, surprit par le magnétisme qu'elles exerçaient sur lui. Etait-ce l’alcool qui bouillonnait paresseusement dans ses veines qui l'avait empêtré dans ce regard inconnu ? Son désir de mettre de la distance entre son date trop bavard et lui ?

Toujours est-il que Nolan était intrigué, et qu'il se pencha vers le barman pour le héler.  « Eh, euh, vous, là… servez votre meilleur cocktail à cet homme. C’est, euh… » Il se tourna vers son date, examina la qualité de ses boutons de manchette et de ses chaussures parfaitement cirées.  « … mon ami ici présent qui paie. » L’ami en question ouvrit grand la bouche, l’air outré, mais Nolan n’hésita pas à écraser ses lèvres contre les siennes pour étouffer ses contestations.

Puis il se retourna vers l’homme à qui il avait offert un verre, deux places plus loin, et se dévissa le cou pour voir s’il avait goûté à son cocktail. Ne voyant rien, il hésita quelques secondes avant de glisser de son siège pour aller s’assoir directement à côté de lui, ignorant son pauvre date - celui-ci, après plusieurs appels infructueux, finit par lâcher l’affaire et plonger le nez dans son verre en le gratifiant de noms d'oiseau.

 « Alors ? » demanda Nolan sans préambule, plongeant ses yeux clairs dans ceux, sombres et magnétiques, de l’inconnu.    

Dans le corps de Nolan, l’impatience se mêlait à l’appréhension. L’inconnu apprécierait-il son geste ? Ou recracherait-il son cocktail sur sa chemise, les lèvres chiffonnées par le dégoût ? Le remercierait-il d’un simple sourire avant de retourner à ses occupations, se désintéressant de lui comme s’il n’était qu’une poussière incrustée sur l’émail du bar ?

Une telle réaction l’aurait assurément blessé, mais ne l’aurait pas étonné. Nolan avait l’habitude du mépris, et pire : de l’indifférence. Pourtant, l’habitude n’étouffait pas la douleur, au contraire ; c’était comme une blessure sur laquelle on rajoutait inlassablement du sel, pour bien lui rappeler que jamais elle ne cicatriserait.

Le wicked fut donc surpris que l’inconnu réagisse positivement à son offre et plante ses yeux dans les siens, lui coupant brièvement le souffle. L’espace de quelques secondes, il ne sut quoi dire, et il se contenta de bredouiller des paroles inintelligibles, les joues rougissant sous le poids du regard de l’homme.  « Je… » Il se racla la gorge, puisa du courage dans le verre qu’il avait pris le soin d’amener avec lui - l’assurance déferlait dans ses veines au même rythme que le rhum - et reprit, redressant maladroitement les épaules :  « Une envie, comme ça. » Son visage s’empourpra alors que sa langue se déliait doucement, l’honnêteté prenant le pas sur la volonté de plaire, d’intriguer, de piquer la curiosité de l’inconnu.  « Je n’ai pas pu résister. » Résister à votre regard songea-t-il, achevant son verre d’une longue et brûlante lampée.

L’alcool bouillonnait dans son estomac, mais ce n’était pas suffisant. Ce n’était jamais suffisant, lorsqu’il s’agissait de lâcher prise, de se laisser aller à ses désirs, se perdre dans les filets d’un autre.  « J’ai peut-être d’autres surprises en réserve » ajouta-t-il, et il enfonça sa main dans la poche de sa veste, y cherchant l’un de ses plus précieux trésors.

Lorsque ses doigts se refermèrent autour d’un petit sachet plastique, il jeta un regard à la ronde pour être certain que personne ne les observait, puis se pencha en direction de l’inconnu.  « Peut-être pourrions-nous nous isoler, pour que je vous les dévoile… » Dans le creux de sa main scintilla le petit sachet, rempli à ras bord d’une poudre qui lui avait coûté jusqu’à ses derniers black dimes.

Les drogues magiques avaient beau être prohibées, elles restaient très attractives, et Nolan espérait qu’elles suffiraient à convaincre l’homme de le suivre. Loin de la clameur du bar, ils pourraient peut-être se découvrir de façon plus… intime ?
En tout cas, c’était tout ce qu’il souhaitait.

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