go where the silence goes (ashby)

“GO WHERE THE SILENCE GOES” — Son archet glisse sur les cordes et les notes s’enchaînent, les unes après les autres, sublimées par des années de pratique et d’entraînement. Ce n’est pas parfait, et un maître trouvera sûrement beaucoup de choses à redire, mais ça lui suffit. Il se laisse guider, par automatisme. La fenêtre est ouverte, et on peut sûrement l’entendre jouer jusque dans la rue. Mais ça n’a jamais vraiment gêné personne, chez les sorciers de l’Hiver. Tous sont fortement encouragés à jouer d’un instrument, et rares sont les jours ou aucune note étouffée par les murs ne se fait entendre dans l’appartement d’Ashby. Il y a des jours où il apprécie, où il écoute, se repose, et il y en a d’autres où ça le rend presque fou, tout ce bruit. Il se rappelle d’une période particulièrement difficile où ses voisins du dessus venaient d’acquérir un violon pour leur petite fille... Il faut bien commencer quelque part, et il ne devait pas être beaucoup plus doué à son âge, mais savoir qu’il a été dans cette position un jour ne l’a pas aidé à subir les nombreuses fausses notes. Enfin. Elle s’est améliorée depuis, et rejoint la liste des nombreux musiciens de son immeuble.

Il est tiré de ses pensées par la vibration de son téléphone portable, sur la table à côté de lui. Il rate une note, essaye de se remettre dans le bon état d’esprit, mais ses pensées dérivent vers le téléphone. Déconcentré, il s’arrête et souffle. Il dépose son instrument dans son étui, jette un regard distrait vers la fenêtre. La neige tombe doucement, recouvrant le quartier d’une couche de neige relativement importante. En tout cas, plus importante que dans les autres quartiers. En ce mois de janvier, l’hiver est bien installé dans la ville, mais jamais il ne quitte Lower Manhattan. Et ce n’est pas lui qui va se plaindre, au contraire, il a déjà du mal à supporter la hausse des températures lorsqu’il passe dans un autre quartier. Il se fiche pas mal d’être un stéréotype complet de ce que l’on attend des sorciers de son coven, mais il faut bien avouer qu’il n’y a pas une seule case qu’il ne remplit pas.
Il attrape son téléphone, et répond rapidement à Titus qu’il n’y a aucun problème pour qu’il vienne chez lui. Ils se connaissent depuis bien trop longtemps pour qu’il lui refuse quoi que ce soit, de toute façon. Il s’empresse d’aller fermer la fenêtre, dans l’espoir que l’appartement ne soit pas trop froid lorsque son ami arrivera. Il ne se fait pas trop d’illusions, cela dit, étant donné qu’il n’a pas de chauffage.
Il a l’impression que ça fait une éternité qu’il n’a pas vu Titus. Il a du mal à garder contact avec les gens, et ne sait jamais comment exprimer qu’il tient à certaines personnes. Mais Titus le sait, au fond, et il ne lui en tient pas rigueur. Ça doit être l’une des seules personnes qui arrive à voir comment il montre son affection, derrière son air impassible et ses remarques cinglantes. Il faut dire que c’est en partie sa faute, et qu’il pourrait y mettre un peu plus du sien. Mais tout lui semble plus simple, avec Titus. Peut-être parce qu’ils se connaissent depuis une époque où la vie lui semblait infiniment plus simple, où la pire chose qui aurait pu lui arriver aurait été de ne pas rendre ses devoirs à temps, ou de perdre sa carte de bibliothèque. Ashby n’est pas quelqu’un de particulièrement nostalgique, et il préfère infiniment sa vie de trentenaire à ses années d’étudiant, mais il envie cette innocence propre aux enfants, parfois.

Il sort les couvertures chaudes de ses placards et met de l’eau à chauffer, sachant pertinemment que Titus aura froid en arrivant. Il a beau être né ici, il n’y avait pas sa place, et il ne pouvait pas s’épanouir au cœur de l’Hiver. Ashby a mis du temps à le comprendre. Pas à l’accepter, non, parce qu’il n’aurait jamais pu tourner le dos à Titus pour des broutilles pareilles. Mais Ashby appartient tellement profondément à son coven qu’il avait du mal à imaginer que ce n’était pas le cas pour tout le monde. Pour lui, son coven était et est toujours son refuge, l’un des piliers de sa vie, et il s’emboîte parfaitement dans ce monde. Il a la chance d’avoir sa place ici. Titus, lui, devait aller ailleurs. C’est tout. Ça ne voulait rien dire d’autre, pour lui. Il a encore beaucoup de chemin à faire, cependant. Si Titus fait sûrement partie de ses amis les plus proches, il fait figure d’exception, étant donné qu’il a tendance à préférer les membres de son coven, et qu’il peut avoir une certaine tendance à avoir un certain complexe de supériorité vis-à-vis des autres sorciers. C’est le résultat de son éducation, tant par ses parents que par son coven, et par sa difficulté à se remettre en question. C’est en effet difficile de corriger un comportement néfaste quand on ne se rend pas compte qu’il y a un problème, et qu’on se trouve en plein centre de ce problème.
Juste avant que son ami n’arrive, il va quand même s’habiller, avec ce qui lui tombe sous la main. Même comme cela, il réussit à avoir l’air de garder une certaine classe, même s’il est loin de sa tenue de travail. Il ne s’habille quasiment jamais lorsqu’il est chez lui – il faut dire que pour quelqu’un qui ne ressent pas le froid, l’intérêt est plutôt limité.

Quelques coups sont frappés contre la porte, et il s’empresse d’aller ouvrir. Titus s’engouffre dans son appartement comme si sa vie en dépendait, son turbulent samoyède à sa suite. « J’ai trouvé personne pour garder Pup, désolé. Tu vas bien ? » Il hoche la tête en se permettant de prendre sa veste, et la mettre un porte-manteau dans l’entrée. « Ne t’en fais pas, c’est pas grave. » Répond-il simplement en esquissant un sourire vers le chien. S’il aime bien embêter Titus en lui disant à quel point son chien est insupportable, il est incapable de le détester tant il a l’air bête. Ashby est toujours un peu inquiet qu’il mette le bordel chez lui – enfin, un bordel autre que le bordel organisé dans lequel il vit. Mais pour l’instant, il n’y a pas eu trop de catastrophes. « Il y a des couvertures sur le canapé si tu veux. Et j’ai mis de l’eau à chauffer si tu veux un thé. » Dit-il en guidant Titus et Pup dans le salon. Il va chercher la théière et ses trop nombreuses boîtes de thé. S’il n’a pas besoin d’en boire pour se réchauffer, il est un grand amateur.
Il se rend soudainement compte qu’il a totalement oublié de répondre à la question de Titus, et espère qu’il ne l’a pas angoissé pour rien. « Ah, désolé. Oui, moi ça va plutôt bien, tant qu’on est en hiver. » Sa saison préférée, évidemment. Il est si prévisible, sur ce genre de sujets.  « Et toi ? Dure journée ? » Lance-t-il à un Titus emmitouflé sur son canapé. Il sait que son ami n’a pas l’habitude de débarquer chez lui en prévenant à peine une demi-heure en avance, sauf dans les jours où l’ambiance de la Nuit – trop de lumières, trop de bruits, trop de trop – lui agressent tous les sens. Et il peut le comprendre, lui qui ne se sent bien que dans son quartier à l’ambiance si particulière, comme si la neige atténuait tous les sons.
 

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“GO WHERE THE SILENCE GOES” — « Tiens, tu t’es habillé pour une fois. » Il hausse les épaules en réponse à la taquinerie, ayant arrêté de compter depuis longtemps les fois où il a ouvert la porte à quelqu'un en oubliant de se rhabiller, et le nombre de fois où c'était Titus derrière la porte. Il faut dire que lorsqu'on ne ressent pas le froid, on a tendance à oublier qu'on ne peut pas simplement aller saluer les gens sans mettre simplement un pantalon. Du moins lui à tendance à l'oublier, les rares fois où quelqu'un vient sonner à sa porte. Être vu nu ne le gêne pas particulièrement, mais il y a toujours un malaise lorsque l'une des personnes présentes est habillée et l'autre non.
« Je veux bien un thé. » Lui répond Titus lorsqu'il lui propose, et Ashby hoche la tête  et se dirige vers la cuisine. Il entend derrière lui son ami faire monter Pup sur le canapé et il retient un soupir en pensant à tous les poils que le samoyède va laisser derrière lui. Il en retrouve sur ses vêtements des semaines après le passage du chien et de son sorcier, et même à des endroits où Pup n'a jamais mis les pattes. Il ne sait pas comment Titus fait, surtout alors qu'il s'habille toujours avec des vêtements sombres. Ashby a déjà pensé à avoir un chat, mais il se dit souvent que les poils le rendront sûrement fou. Il lui faudrait l'un de ces chats sans poils, mais étant donné que la température de son appartement est rarement dans le positif, il n'est pas sûr que ce soit une bonne idée. Au final, un chien comme Pup devrait se plaire dans le quartier de l'Hiver, mais il n'est pas certain d'avoir assez d'énergie pour sortir ce genre de chiens.
Ashby finit par revenir avec le thé et jette un regard suspicieux vers le chien étalé sur son canapé. Il a fini par s'attacher à cette bestiole, et Titus le sait parfaitement, même si Ashby le trouve souvent agaçant et l'air un peu stupide. Au fond, il a l'impression de voir un enfant en bas âge, les pleurs en moins et les poils en plus. Que des bénéfices, en fin de compte.
Il demande à son ami comment il se sent, se doutant que la réponse ne sera pas positive. Il est rare que Titus vienne lui demande de venir s'écraser chez lui, mais ça arrive, et c'est souvent parce que les lumières et les bruits de son coven ont fini par le faire saturer. « J’ai l’impression que ma tête va exploser. Je sais pas comment je vais gérer ce soir.. ça faisait longtemps. » Marmonne-t-il, et Ashby boit une gorgée de thé, les yeux fixés sur son ami.
« Tu es obligé d'y aller ? Tu ne peux pas dire que tu es malade ? » Demande-t-il. Après tout, ce n'est pas si loin de la vérité, et s'il a aussi mal à la tête, il ne sera pas en état de faire des cocktails ce soir. « Je ne sais même pas comment tu fais tout court, je te l'avoue. » Ajoute-t-il en soupirant, presque pour lui-même. À chaque fois qu'il va au nightclub de Titus, il se pose la même question. Quand il y va pour une soirée, il a l'impression d'avoir besoin d'une semaine pour s'en remettre. Ça ne s'arrange définitivement pas avec les années, déjà qu'il n'y allait pas souvent à la base. Il ne pourrait pas travailler tous les jours dans un environnement aussi bruyant. Il aime beaucoup trop sa boutique silencieuse, où lorsqu'il n'y a pas de clients, on entend simplement le tic-tac régulier d'une horloge. Il ne peut même pas imaginer aller habiter dans l'Upper West Side, le bruit constant aura tôt fait de lui porter sur les nerfs. À vrai dire, il ne s'imagine vivre dans aucun autre quartier que celui de l'Hiver, auquel il est profondément attaché. Son ambiance, le calme qui y règne, le fait que ce soit le seul quartier avec des températures acceptables... Non, il n'a définitivement pas envie d'aller ailleurs. Déjà qu'il faut pratiquement le traîner de force dès qu'il doit en sortir...
« Tu peux rester ici si tu as besoin en tout cas, tu le sais. » Ajoute-t-il. Si jamais il décide de rester plus longtemps, Ashby pourra toujours utiliser l'un des sortilèges du coven qui permet de rendre un autre sorcier insensible au froid. Étant donné que ses effets durent un bout de temps, il ne l'utilise pas si c'est seulement pour quelques minutes ou une heure. On ne sait jamais, de ce qu'il comprend ça peut être assez déstabilisant pour les autres sorciers, et il peut le comprendre. Mais bon, si Titus décide de rester la nuit, il ne va pas le laisser grelotter dans ses couvertures.
 

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“GO WHERE THE SILENCE GOES” — « Honnêtement, je me pose la même question parfois. » Lui répond Titus, mais Ashby sait pertinemment qu’il y retournera ce soir, une fois que son mal de crâne sera un peu atténué. Et même s’il a encore mal ce soir, Ashby est persuadé que s’il allait jeter un coup d’oeil du côté du nightclub, il y verrait Titus afféré derrière le comptoir. Il ne comprend pas, non, mais seulement dans le sens où il serait incapable d’exercer ce métier. Il sait très bien que tout le monde ne rêve pas d’un monde de silence et de calme. Il lui suffit de mettre un pied dans le quartier de Titus pour s’en rendre compte. Il a beau avoir vécu à New York toute sa vie – ce qui n’est pas très compliqué, quand on ne peut pas en franchir les murs – il reste souvent assez surpris par les différences très marqués entre les différents quartiers de la ville, et entre les différentes personnes qui y habitent. Ça s’explique sûrement pas une différence au niveau de l’éducation, et des valeurs attachées à chaque coven sûrement, mais ça reste impressionnant. Ici, à Manhattan, tout semble figé dans la glace, un quartier qui semble presque intemporel et où chaque son semble atténué, comme si de trop puissantes vibrations risquaient de faire voler en éclats les nombreuses statues et maisons de glace. Dans l’Upper West Side, à la tombée de la nuit, tout s’anime presque violemment, les lumières, le son, les peintures. Rien ne reste à sa place, tout est animé et on ne sait plus ou donner de la tête. Ashby peut comprendre que cette animation soit magnifique, et qu’elle émerveille ceux qui n’y sont pas habitués, mais il se dit qu’y vivre doit donner un sacré mal de crâne.
De toute façon, il le sait depuis toujours, il serait bien incapable d’habiter n’importe où ailleurs que dans le quartier de l’Hiver. Il trouve des multitudes de défauts à tous les autres quartiers, et seul celui dans lequel il est né le satisfait. Il a conscience de posséder à peu près tous les stéréotypes des sorciers de son coven, et qu’il n’aide pas à arranger leur réputation de sorciers froids, calculateurs et arrogants. Il espère juste que les gens à qui il tient réussissent à voir au-delà de cette apparence. Il espère que Titus n’en aura pas assez, un jour. Il ne sait pas comment exprimer ses sentiments, du coup, il préfère les garder pour lui. Enfin, il se dit que si Titus veut toujours le voir après autant d’années, même lorsqu’il a du quitter le coven de l’Hiver, c’est bien pour une raison. Surtout sachant les rapports qu’il entretient désormais avec ce coven.
« C’est gentil.. Mais il faut que j’y sois, ils vont être débordés sans moi. Et puis je ne peux pas rester une soirée entière à rien faire. » Ashby hoche la tête, sans insister. C’est là qu’il se dit qu’il a vraiment de la chance de pouvoir travailler tout seul. Si un jour il veut se reposer, il n’a qu’à vérifier qu’il n’a pas de rendez-vous et c’est tout. Personne à qui rendre de compte, personne ne compte sur lui. Juste lui, et ses vieux meubles plein de poussière. « Comme tu le sens. Je serais bien incapable de te retenir, de toute façon. » Lui dit-il avec un sourire, avant de reprendre du thé. « Dis-moi si tu as besoin de quelque chose, en attendant. » Il n’a probablement pas envie de parler, s’il a aussi mal à la tête, mais il est là pour lui, aujourd’hui.
 

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