Aodhán ☽ There's a fire inside when I'm falling over

Un nom. Une famille. Un destin. Aodhán est né Gwynllyn et n'aura de cesse d'honorer les siens. De son premier souffle jusqu'à son dernier. Les Gwynllyn évoluent au sein du coven de l'Automne depuis des générations, sans déviance. Leurs membres ont toujours servi loyalement leurs suprêmes, année après année. Des générations à mettre leur maîtrise du feu au service de l'ordre et de la justice, à occuper une fois leur tour venu les postes les plus adaptés à leurs talents pour représenter l'héritage celtique de leurs racines. Aodhán n'a pas échappé à la règle. Ses dons manifestés, ses études terminées, le jeune sorcier intrépide et déterminé a foulé de ses premiers pas le chemin des feuilles mortes. Son chemin.

Notre chère tête brune a tout d'abord entamé une carrière militaire, s'engageant sous les encouragements de son père dans l'armée de son coven. C'était un tout, une échappatoire, l'illusion d'une potentielle vocation. Le besoin de s'échapper de son quotidien, de sa maison, de se responsabiliser. Il s'y est fait sa place, le timide Aodhán. S'y est forgé un caractère indomptable et impulsif. Jusqu'à ses vingt-cinq ans, le garçon devenu homme n'a cessé de servir les liens sans ne jamais faillir. Quatre longues années consacrées à faire régner l'ordre et la loi ; à imposer la discipline aux plus belliqueux. Quatre automnes pour réaliser qu'il n'est pas à sa place. Qu'il veut donner un autre sens à sa vie et ses choix. 

Aodhán a trouvé grâce à son père une place privilégiée ; une reconversion évidente. Garde du corps pour des personnalités éminentes de son coven ou de ses alliés. Un jeune étudiant prometteur, un soldat à l'aube d'une nouvelle carrière. En bon Gwynllyn, il ne laisse rien au hasard, observateur et méticuleux. Fier et autoritaire. Ses devoirs le conduisent à assurer les arrières de politiciens, diplomates et érudits. Un boulot à l'image de la carapace de glace renfermée derrière ses sortilèges incandescents. Une ligne de conduite simple dans laquelle froideur rime avec professionnalisme. Ne jamais s'attacher. Adopter la posture adéquate ; en savoir le moins possible. Se contenter de les protéger. Vraiment, c'est fait pour lui, cousu sur mesure. Jusqu'à ce fameux contrat. Cette dernière mission. 

Elle s'appelle Astrée Weaver. Elle est une prodigieuse scientifique et intellectuelle du coven de l'hiver. Ses travaux en astronomie sont prometteurs, ses pensées idéologiques dérangeantes. Elle ne laisse aucun de ses pairs indifférents. Sa popularité parfois déplaisante en fait une cible privilégiée pour quiconque n'adhère pas à ses discours. Aodhán a été affecté à sa garde rapprochée. Le premier à sa porte chaque matin. Le dernier à la quitter après s'être assuré que son appartement était sûr. Veiller sur elle quel qu'en soit le prix. Comme il l'avait toujours fait... 

Dès le premier contact il sait que ce contrat ne ressemblera en rien à ses prédécesseurs. Astrée est bornée, entière, curieuse, presque intrusive. Ses questions en amènent toujours de nouvelles. Elle veut le connaître, tout connaître de sa vie et de son passé. Percer son armure de feu. Fissurer sa carapace. Découvrir l'homme derrière le soldat. Il se renferme à son habitude. Elle est douce et pleine de vie. Il est froid et solitaire. Deux mois s'écoulent à son service. Il découvre ses routines quotidiennes, ses petits rituels. Six mois. Il lui sert son petit déjeuner à six heures vingt chaque matin. Un pas franchi. Il lui offre à travers cette tasse chocolatée toutes les paroles qu'il s'interdit de prononcer. Jour après jour sa vision se biaise, s'adoucit. Là où il voyait un contrat, il voit une femme ; une femme désirable. Une connaissance, une amie, un être aimé. 

Tout a changé une nuit d'hiver. Une attaque déjouée. Une suite louée dans un hôtel de luxe. Elle ne l'a jamais laissé rejoindre sa chambre. Elle ne voulait pas rester seule. Un soutien moral. Un garde du corps devenu pilier dans sa vie. Un contact physique. Un premier rapprochement. Une caresse, un baiser. Puis deux, dans la chambre. Une promesse, sous les draps. Un faux pas, sans regret. Tout a changé cette nuit-là. 

Les mois qui suivent se ressemblent. Des sentiments qu'il tait. Des actes à peine assumés. Un amour secret. Il perdrait son poste, sa réputation. Elle se détournerait de son combat, trahirait ses engagements. Des instants fugaces consumés. Des déplacements salvateurs au cours desquels ils pouvaient laisser libre expression à leur passion fusionnelle. Il ne voit pas ses sens se brouiller semaine après semaine, son jugement faussé, lésé par ses sentiments qui le poussent à la contempler l'espace de secondes éphémères plutôt que de se concentrer sur la foule tantôt silencieuse, tantôt prête à s'embraser. Ils échangent un regard indéchiffrable, retiennent un sourire qui les trahirait. Tout se déroule en un instant. La masse uniforme qui se scinde, un homme encapuchonné s'impose, un éclair de glace s'échappe de sa paume. Trop vite. Une seconde éphémère. Le feu obéit aux ordres d'Aodhán, embrase la cagoule qui dissimule son visage. Trop tard. Les cris se mêlent à la panique générale. La foule se disperse mais il n'y a qu'une seule personne qui compte. Astrée. La poitrine transpercée par un carreau translucide. Un râle plaintif s'échappant de ses lèvres entrouvertes. « Aisling. »

Il ne l'apprend que plusieurs heures plus tard. Des minutes interminables à faire les cents pas dans le hall de l'hôpital. A attendre une réponse. A l'espérer. A la redouter. Les médecins sortent enfin. L'instant redouté. Leurs mines parlent d'elles-mêmes. « Elle ne s'en est pas tirée... » confessent-ils. « Mais nous avons pu sauver l'enfant. » Les questions se succèdent dans sa tête. D'abord sans réponse. Puis les pièces s'assemblent. Son déni de grossesse. Les légers changements dans ses habitudes, son corps. Dans son comportement. Tant de détails mis sur le compte du stress et du surmenage qui prenaient soudain une toute autre dimension... « Aisling. » 

L'affaire finit par être ébruité. Des documents d'Astrée attestant qu'il est le père de l'enfant retrouvés. Une page se tourne, une carrière qu'il ne pourra plus jamais exercer ; il ne le voudrait plus. Quatre années sont passées. Grâce à l'influence de sa famille et ses mérites passés, Aodhán a trouvé une place parmi les forces de l'ordre. Il se consacre pleinement à cette nouvelle carrière, se convainquant chaque matin d'affronter son quotidien pour offrir à sa plus tendre merveille un lendemain heureux. La mort d'Astrée a colmaté les brèches qu'elle avait entrouvert dans sa carapace impassible. Aodhán se refuse toute intrusion dans sa vie privée et son entourage. Seul le bourbon fait exception à ses principes et l'aide à chasser sa solitude. Il n'y a que sa fille, la prunelle de ses yeux, et sa sœur à laquelle il continue de mentir jour après jour. « Tout va bien. » assure-t-il ; mais les souvenirs lancinants qui le dévorent témoignent du contraire.