Shot a whole in the Sun - Zélie

Il est en retard, Dashiell. Il n’est jamais en retard. Et pourtant. Pourtant le voilà qui se cache dans le coin d’une rue. Des mégots parsèment le sol, une cigarette s’accroche à ses lèvres. Il a déjà offert des excuses ; une affaire qui ne peut attendre. La faute tombe ainsi sur Svetlana, elle que le père n’a jamais apprécié, elle qui se moque bien de ce que le banquier peut bien penser d’elle. Si le choix avait pu être le sien, il se tiendrait loin de la maison familiale. L’anniversaire du paternel, en voilà bien une chose dont il se moque alors que le fils s’éloigne un peu plus du père chaque jour. Il lui offre de son temps pour un café ici et là, mais refuse d’en faire plus. Chaque interaction contient une demande qu’il ne supporte pas, des aveux dont il fatigue. Come back to the bank, what use are you to the courts? Il refuse. I know my time is nigh, I can feel it. Il ignore. Il sait bien que son père n’adviendra jamais à rien, qu’il ne sera qu’un des banquiers jusqu’à la fin de ses jours. Parce que les erreurs de son passé ne seront jamais oubliées. Parce qu’il est incapable de jouer ce jeu que le Soleil se doit de connaitre par cœur. Inutile, voilà tout ce qu’il est. Alors de devoir prendre part à une fête en son honneur… Mais ce n’est pas ce qui le force à rester en retrait, Dashiell. Oh il a du prendre part a de nombreuses de ces évènements auparavant. Toujours, il l’a fait aux côtés de sorcières qui lui ont permis d’oublier la fatigue. Nora et son venin. Nora que les responsabilités appellent ailleurs. Nora et…

Zélie.

Zélie qui connait son secret. Zélie qui sait de quoi il est capable. Zélie qui sait de quoi son père est capable. Zélie qui connait l’identité du frère que les mensonges ont dis mort. Zélie qui refuse de le voir. Zélie qui refuse de lui parler. Zélie qui refuse de le savoir en vie.

Zélie qui a détruit son cœur.

« Dashiell! » Il sursaute presque. Son corps fait volte-face, découvrant la figure d’une des amies de longue date de son père. Immédiatement, il lui sourit, se joint à cette conversation mondaine qu’elle lui offre sans attendre. Son échappatoire s’est perdue, il n’a plus aucune excuse, et le voilà qui pénètre dans la maison qu’il connait par cœur. Immédiatement, il ne peut retenir un doux sourire. Son entourage est transformé. L’or brille plus fort, appuyé par des décorations aux couleurs douces. Le tout hurle le Jour, murmure l’Été, suinte de la chaude perfection qu’il connait tant. Et ça lui fait presque mal, au Soleil. Si mal qu’il reste un moment immobile dans l’entrée, incertain de ce qu’il se doit de faire. « Ah, there you are. » La voix du paternel résonne, fait glisser un frisson fatigué le long de son dos. « Happiest of birthdays, father. » Les mots sont appuyés par un sourire poli alors qu’il l’enlace un court instant. « Your tardiness has not gone unoticed, many have asked after you. » Le vieil homme est rayonnant, mais l’enfant n’est pas dupe, il reconnait le pique sous les apparences. Ce qu’il lui rend avec aise : « I am certain their impatience was shared with yours, was it not? » Le regard frappe, le sourire caresse. « Come, join me. » Il aurait accepté, Dashiell. Il aurait accepté de passer une heure ou deux en compagnie de banquiers ennuyeux à les écouter parler de cette économie dont il se moque bien. Mais il reconnait une silhouette du coin de l’œil qui le pousse à refuser. « In a moment father, I must thank Zélie for her work on this celebration. » « She can wait, » que le père répond, bien que conscient du lien qui relie les deux sorciers. « I must insist. » Les syllabes sont posées, le regard lourd. C’est un fils que le Jour ne connait pas réellement, modelé par la Lumière qui se tient devant le paternel. S’il n’en dit rien, s’il n’en montre rien, si Dashiell lui-même s’en sait rien, il n’empêche qu’il en a presque peur. Il sait de quoi son fils est capable. Il sait de quoi il a été capable enfant. Et le voilà en quête de pouvoir. Un jour peut-être le surpassera-t-il. Mais le jour n’est pas encore venu. Ou du moins c’est ce qu’il pense. Et pourtant. Pourtant il accepte. « Do not be long. »

Il la trouve dans une des pièces éloignées, celles au sein desquelles la fête est silencieuse. Une pièce dans laquelle ils se sont si souvent perdus enfants. « Zélie… » Il se tient devant la porte, Dashiell, bloquant la seule échappatoire. « I am happy to see you. » Il offre un sourire à cette sorcière qu’il connait par cœur. Cette sorcière qui pensait le connaitre par cœur. Ses lèvres s’ouvrent, il inspire, puis il se reprend. Silent un moment, il se contente de lui sourire. « Thank you for throwing this party for my father, you know how much he appreciates your work. » Il fait un pas en avant. « It all looks wonderful, as always. You must have worked on this for such a long time, » un léger rire résonne. Il essaie. Il essaie tant de prétendre que tout va bien. Mais quelque chose dans l’air l’en empêche. Elle l’a ignorée, continue de le faire. L’air est léger, manque presque alors qu’il aurait dû trouver chez Zélie une bourrasque qui s’empare de son cœur avec aise. Il n’en peut plus. Il ne supporte plus de ne plus l’avoir à ses côtés.

Humour me.
Pretend like everything is what it has always been.
Please.

Cela fait des semaines que cette soirée est en préparation. Et c’est d’ailleurs par elle que la fin est arrivée, qu’elle a été précipitée. Les repérages lui ont donné l’occasion de revenir en ces lieux, qu’elle évite d’ordinaire autant qu’elle le peut. De pousser toutes les portes, y compris celles qui lui sont interdites. Surtout celles qui lui sont interdites. Et tout s’est accéléré. Tout a été chamboulé. Les mains ont été révélées, les cartes abattues et la donne a entièrement changé. Et Zélie a perdu. Tout, en réalité. Même si on ne dirait pas, à la voir accueillir le monde, drapée dans une incroyable robe fourreau, répliquant à la perfection l’éclat du soleil. Un hommage de la soirée qui lui a coûté plus qu’elle ne saurait l’exprimer, maintenant qu’elle sait ce qui se cache sous le masque de perfection de cet homme … et de son fils. Le « surprise » chantonné par la foule quand il est arrivé a pourtant été donné de bon cœur, comme elle a accepté l’embrassade avant de le laisser à sa surprise – sachant pertinemment que ce n’en était plus une depuis longtemps. Les Havilliard avaient préféré le prévenir, connaissant le tempérament parfois emporté de leur vieil ami. S’ils savaient à quel point … C’est avec la nausée que Zélie se tient là, dans ces appartements. Flûte de champagne à la main, elle s’occupe un temps, vérifiant que tout est en place. Mais le tour est rapidement fait car rien n’échappe à son sens aigu de l’organisation. Et il est hors de question de s’éclipser pour le moment, pour autant qu’elle le voudrait. Parce que les questions de ses parents sur l’absence à ses côtés d’une certaine personne la torturent. Sans compter leurs efforts peu discrets pour la pousser dans les bras, cette fois, d’un chanteur à la mode dont les parents possèdent le meilleur restaurant de la ville. Disparaître. Celle qui pourtant adore les regards le voudrait pourtant. Et si son premier mouvement a été pour une salle en particulier, occupée par un piano, la musique s’en échappant lui a rappelé rapidement qu’elle est la demeure pour la soirée d’un artiste.

La vision de l’homme au clavier manque de la faire chanceler quand d’autres traits se superposent aux siens. Et c’est un peu plus rapidement que ne le voudrait l’étiquette qu’elle fait volte-face. Loin. Elle a besoin d’être loin, soudainement. Surtout alors qu’un murmure parvient jusqu’à elle. Un nom. Celui du fils de celui que l’on célèbre. Dashiell est arrivé. Le rythme cardiaque de la poupée s’accélère alors que ses doigts trouvent une autre coupe pour remplacer la sienne et qu’elle s’éloigne, comme si on avait inversé les pôles des aimants qu’ils ont toujours été. Pour trouver une pièce, loin de tout. Dans laquelle malheureusement, des souvenirs l’assaillent. Elle n’aurait pas du venir. Mais elle ne pouvait faire autrement. Pour les apparences, si chères à son cœur. Si chères aux yeux de tous. Indispensable à l’équilibre. À la réputation. Mais malgré des années d’entraînement, malgré la meilleure volonté du monde, elle n’a jamais été prête à ça. A devoir faire semblant devant la personne qui a toujours compté plus que n’importe quelle autre au monde pour elle. « Zélie… » La voix, qui d’ordinaire emplit son cœur d’une douce chaleur, la glace soudainement. De profil, elle ne peut l’ignorer. Pas quand il est à la lisière de son champ de vision. Emplissant l’espace de la porte. Lui interdisant toute retraite. « I am happy to see you. » Muette. Elle est muette. Incapable de faire un mouvement pour lui faire face. Ou d’émettre un son. Pas alors que leur conversation lui revient. Pas alors que ce qu’elle a entendu à la prison tourne en boucle dans son crâne. « Thank you for throwing this party for my father, you know how much he appreciates your work. » Il bouge. Et comme dans une chorégraphie façonnée par des années de complicité … elle recule. L’erreur a manqué de lui être fatale la dernière fois. Elle ne reproduira pas l’erreur. « It all looks wonderful, as always. You must have worked on this for such a long time. » « It’s been weeks, actually. » Il le sait. Elle le lui a dit, cette nuit où il lui a confirmé ce qu’elle avait appris. Où il l’a regardée dans les yeux en lui disant qu’il a bien essayé de tuer son frère. Et que son seul regret est de ne pas avoir réussi. Ses yeux se lèvent enfin vers lui et elle frissonne. « I know how much appearances are important to you and your father. » Les mots résonnent dans l’espace, plus durement que prévu. Parce qu’elle sait être impitoyable, Zélie. Mais en l’occurrence, elle essaye simplement de se protéger. Parce qu’elle ne peut pas le voir. Pas le laisser s’approcher. Parce que ce qu’elle voudrait, plus que tout au monde, c’est qu’il la prenne dans ses bras, qu’il lui assure que tout ira bien. Mais maintenant qu’elle sait ses mains pleines du sang de sa propre mère, désirant désespérément y ajouter celui de son frère … elle ne les veut plus sur elle. Elle ne saurait le supporter. « Go away, Dashiell. » Les paroles sont dures, faisant écho aux seuls mots qu’elle lui a adressé depuis leur dernière rencontre. Mais détonnent avec son visage. Qui s’est affaissé, dont les traits parfaits n’expriment que la tristesse. « I can’t see you right now. » Right now ? Or ever ? « There’s a party to host. »

Qu’elle lui offre un sourire. Voilà tout ce qu’il demande. Un simple sourire qui hurlera ce que les mots ne pourront jamais partager. Qu’elle a compris. Qu’elle ne lui en veut pas. Que le temps ait suffit, a permis à ses pensées de trouver une douce réponse à ces questions qui l’ont détruite plus tôt. Il a essayé de lui parler, Dashiell. Oh, il a essayé avec une force qu’il n’a jamais offert a quoi que ce soit d’autre. Une force qui, depuis avoir croisé son regard au sein de la prison, a même suffit à éteindre le désir de meurtre qui brule en lui depuis son plus jeune âge. Il en a toujours douté, le Soleil, qu’il avait besoin de la chaleur de l’Été. Parce que depuis l’enfance, il a accepté de lui cacher ce qui a pourtant toujours été une part de son être, juste parce qu’il a besoin de la sentir à ses cotes. C’est une proximité un jour amoureuse qui est devenue bien plus, pour qui il est prêt a tout. Surement que si elle avait appris la vérité plus tôt, il lui aurait fait des promesses qu’il n’ose pas même considérer désormais. Il aurait abandonné cette soif de vengeance si elle le lui avait demandé. Voilà une chose qu’il ne sait pas, qu’il est incapable de reconnaitre, mais une chose qu’il est important de savoir. Si l’Océan s’était pris à éteindre l’incendie au sein de son âme, surement que ce dernier n’aurait pas eu le temps de détruire chaque recoin de son être, de noircir la plus étincelante des lueurs. Qu’en ferait-il si elle le lui demandait désormais ? Qui sait. Peut-être tenterait-il de lui offrir un nouveau mensonge, une promesse qu’il se sait incapable de tenir. Peut-être réfèrerait-il les portes qu’il a depuis cette nuit fatidique tenté d’ouvrir avec peine, lui annonçant que cela ne sera jamais le cas, que la vermine se doit de disparaitre. Ou peut-être lui offrira-t-il cette vérité douloureuse qu’elle désire tant. I do not know. Il ne sait pas. Si elle le désire, il fera de son possible, tentera d’accepter une vie qui ne se doit pas d’être, du moment qu’il est capable de garder ses distances. Tout comme il lui avouera qu’il sera incertain de l’issue d’une nouvelle rencontre.

Tant de questions qui se percutent au plus profond de son esprit. Des questions qui lui font perdre son temps. Parce que Zélie ne se prend pas au jeu imaginaire qu’il désire tant.

« It’s been weeks, actually. » La voix est dure. Les mots sont simples, se contentent de répondre à une question sans même ouvrir la voie d’une autre. « I know how much appearances are important to you and your father. » « My father… » has nothing do with this, qu’il tente de répondre. Mais son cœur l’en empêche, le coupe dans son élan alors qu’il tente de voir au travers de la souffrance qui habite celui de l’Été. « Go away, Dashiell. » Il ne bouge pas. Il ne peut pas le faire. Pas alors qu’elle ne lui a pas souris. Pas alors qu’elle ne lui a pas dit qu’elle comprend, qu’elle ne lui en veut pas. Il désire entendre ces mots, les sentir glisser le long de ces lèvres aux mouvements familiers. Il veut sentir leur amour remplir cette pièce d’un air qu’il ne peut s’empêcher de détruire un peu plus chaque seconde. Il inspire brusquement. Peut-être est-ce la surprise des mots. Peut-être est-ce le fait que respirer devient de plus en plus difficile. « I can’t see you right now. » Il fait non de la tête, mouvement discret qui suffit à se différencier de l’immobilité qui est normalement la sienne. « There’s a party to host. » « Please… » Ce n’est pas un supplie. Pas encore. Juste une demande, un quelque chose qu’il ne peut décrire. Quelque chose qui le pousse à abandonner ces apparences qui n'ont plus leur place désormais. « Zee, please, do not… » Sa main gauche se tend vers elle avant de s’immobiliser d’elle-même, comme s’il doute soudainement d’aggraver les choses. Elle reste ainsi un moment avant de retomber à ses côtés, son regard planté dans celui qui l’a observé avec un amour qu’il est incapable de retrouver. « Do not leave me here. I… I only came here for you, I… » L’air est lourd. Si lourd qu’il semble un peu plus lointain a chaque inspiration. « I know you are aware of that. » Il aurait trouvé une excuse afin d’etre loin de cette fête organisée au nom de cet homme qu’il ne supporte pas. Mais il se devait de la voir, il se devait d’essayer. « When I saw you at the prison you… you did not leave me any time to explain. »

What is there to explain?

Peut-être s’imagine-t-il que des mots sont capables d’étouffer la réalité du sang qui coule le long de ses phalanges. Mais pour celle qui le pense Ange lumineux, que peut-il bien faire d’autre si ce n’est mentir ? Il est fatigué, Dashiell. Fatigué des mensonges.

Tired of this.

C’est une torture, voir cet étranger aux traits si familiers face à elle. Il lui est intolérable de se retrouver en sa présence et il le sait. Depuis des semaines, elle l’évite. Eux qui n’ont jamais su passer vingt-quatre heures sans au moins s’écrire, s’appeler pour entendre le son de la voix de l’autre sont séparés, de la plus brutale des façons. Et c’est elle qui a initié ce mouvement et qui le maintient, comme elle le peut. Parce que même si tout en elle hurle qu’elle l’aime, et que vivre sans lui est comme se priver d’oxygène – comme présentement, où elle sent l’air se faire plus rare dans ses poumons, lui asséchant la bouche – elle ne peut pas. La confiance a été rompue, durement. Et au-delà de cela, elle est incapable de le regarder comme elle le faisait auparavant. Comme s’il était la perfection incarnée, celle pour laquelle elle s’est toujours tenue à ses côtés, l’a toujours soutenu. Fini. Fini, tout ça. « My father… » Non. Non, elle ne veut pas l’entendre parler de son père. Parler de cet homme qui l’a toujours effrayée, qu’elle n’a toléré qu’à cause de l’amitié que lui portent ses propres parents, apprenant à le détester parce que Dashiell doit se cacher à côté de lui. Mais maintenant qu’elle retrouve de ses traits dans son fils … c’est encore pire. Il s’arrête, cependant, comme si effectivement il sent qu’il vaut mieux ne pas mentionner le paternel pour l’heure. Ou jamais. Et pourtant. Pourtant c’est la seule concession qu’il fait, refusant de se dérober à son regard ou d’accéder à sa requête. Et elle ne bouge pas. Elle ne bouge pas parce qu’elle se sait incapable de tenter de forcer le passage. Non parce qu’elle manque de la force pour le faire, si elle le désire. Mais parce qu’il risque de la toucher. Et il en est hors de question. Pas cette fois. Pas encore. « Please… »

La demande la fait frissonner. Mais elle ne bouge pas. Même quand le visage de son ami se défait, abandonnant enfin ce rôle, les apparences qu’il maintient en place. Comme elle. Et bien sûr, que cela la déchire de part en part, de le voir comme ça. Bien sûr qu’elle voudrait, oh, si elle pouvait, oublier. « Zee, please, do not… » La main est une erreur. Lui arrache un mouvement de recul. Mais il n’essaye pas de bouger. D’avancer. « Do not leave me here. I… I only came here for you, I… » Les mots trouvent leur cible, bien évidemment. « I know you are aware of that. » Oui, bien sûr. Elle l’a redouté chaque jour, depuis qu’ils se sont vus, à la prison. Qu’il a essayé de la contacter, de toutes les manières possibles et imaginables. Et peut-être, peut-être seulement que s’il s’en était tenu à ça, elle aurait avancé. Fait un pas vers lui. Aurait pu montrer de la douceur. Mais il a fallu que ses lèvres s’écartent de nouveau. Pour laisser passer des mots n’aidant pas. Ne faisant qu’aggraver son cas. « When I saw you at the prison you… you did not leave me any time to explain. » « Explain ? » La voix est rauque, où on l’aurait attendue aigue. Les prunelles de la jeune femme se mettent à briller, alors que des perles salées, comme montées de l’océan qui gronde en elle viennent poindre au coin de ses yeux. « How can you possibly explain … this ? » Il a tué sa mère. Sa propre mère. Une femme d’une douceur exceptionnelle, que la demoiselle, du haut de ses quelques années, a toujours admiré. Dont la disparition brutale l’a profondément heurtée. Alors imaginer. Juste penser qu’il ait pu faire ça … Un ruisseau cascade le long de sa joue, alors que ses yeux cherchent les siens. « What could you say that could make it ok ? » Rien. Il n’y a rien à dire. Il a tué sa propre mère. Simplement. De sang froid ? Sans doute. Elle ne veut pas savoir. Et ça l’a fait réfléchir, énormément : « If I had been married to your father, I would have cheated too. » Comment aimer ce monstre ? Comment supporter son emprise ? C’est la femme en elle qui parle, alors que ses yeux se lèvent sur les moulures de la prison dorée dans laquelle cette femme a été jetée. L’a-t-elle un jour aimé ? A-t-elle eu le choix ? La tête lui tourne. Le manque d’oxygène, à n’en point douter. Bouscule les pensées dans son esprit. « Was that what went through your mind ? When you saw me with him ? » Y penser lui donne le tournis. Il lui semble que cela fait une éternité qu’il a posé ses mains sur elle. Pour ne plus jamais le refaire. A good fuck, he said. Il est maintenant avec une autre. Donc cela n’a plus la moindre importance. Ce qui n’empêche pas la question d’être valable. S’il a été capable de tuer sa propre mère pour ça … qu’aurait-il fait ? « Not that it matters anym… » La fin du mot lui échappe en même temps que sa coupe de champagne. Ses doigts l’ont laissée filer, le verre éclatant à ses pieds. Sa main tremble. L’émotion ? La raréfaction de l’air ? La douleur causée par l’un des éclats qui a trouvé sa cheville ? Allez savoir.

« Explain ? »

Un moment durant, c’est presque s’il abandonne, s’il se rend compte qu’il a commis une erreur impardonnable. Mais il se reprend. Il se reprend parce qu’il est prêt à tout pour Zélie. Pour cette femme qui le comprend comme quiconque. Peu importe l’amour qu’il offre à Caïn, la confiance qu’il partage avec Nora, rien ne pourra jamais égaler ce qui le lie avec l’Été. Pourquoi ? Il ne le sait pas lui-même. Parce qu’ils partagent quelque chose qu’aucun ne pourrait expliquer, qu’aucun ne pourrait comprendre. Ils l’ont partagé depuis les premiers jours, et ils se doivent de le partager jusqu’à la fin. Alors il n’abandonnera pas. Jamais. Il ne peut le faire, il ne pourrait y survivre. « How can you possibly explain… this ? » Oui, comment peut-il l’expliquer ? Il ne sait pas. Il n’a jamais eu à la faire. Il s’est contenté de le montrer à Caïn. Parce que Caïn le sait violent. Parce que Caïn le sait tueur. Mais il ne pourra jamais forcer Zélie à voir ce qu’il a fait. Elle pour qui la connaissance a suffi. « What could you say that could make it ok ? » Ses lèvres s’entrouvrent, comme s’il s’apprête à répondre, mais elle l’interrompt. « If I had been married to your father, I would have cheated too. » Les mots réveillent une colère en lui qu’il ne comprend pas vraiment. Plus jeune, il aurait explosé à de tels propos. Aujourd’hui, il se contente de les accepter sous une rage presque forcée. Mais ce n’est pas parce que son père lui fait peur, cela n’est désormais plus le cas – ou presque – c’est parce qu’il n’en a plus cure de cet homme qui a commencé à s’accrocher à son propre succès. Alors que son cœur tente de comprendre ce qui s’y cache, la sorcière continue. « Was that what went through your mind ? When you saw me with him ? » Ses sourcils se froncent. Si concentré sur son propre cœur, il ne comprend que trop tard ce que cache la question. « Not that it matters anym… »

La coupe scintille. C’est presque s’il la voit tomber au ralentis, Dashiell, presque s’il tente de s’en emparer. Mais il ne peut le faire. Alors elle s’écrase. Alors Zélie semble vaciller. Alors le Soleil se moque bien de ce qui les a éloignés, il bouge sans même y réfléchir. Ses bras s’emparent du corps de l’Été, ses muscles aidés par une douce brise qui rend à la salle un air plus respirable. Quelques pas, voilà tout ce qu’il fait, jusqu’à la déposer sur de lourdes boites loin du verre éclaté. Ses propres doigts s’emparent du morceau qui s’est enfoncé dans une cheville, le retire dans un geste doux avant d’y apposer une pochette doré. Il aurait pu faire durer le silence, Dashiell, accroupis aux pieds de sa moitié. Mais il n’en fait. Il s’empare du moment avec une telle force qu’il manque de retrouver la panique qu’il a offert à Caïn il y a plusieurs mois plus tôt.

« I do not know how an explantation can be given, though I will try my best. » Ses mains entourent la cheville meurtrie, y déposent une pression calme sans un effort d’arrêter le flot sanguin qui noie doucement l’or du tissu. « I was a child, Zee. A child raised in a violent world. I know you choose to remain removed from it, though by now you must know the Day is one of the most dangerous courts of all. » Il aurait pu continuer, parler de cette supériorité en laquelle il croit réellement, mais ce n’est pas ce vers quoi il tente d’aller. « I had always been closer to my father than I ever was to her. I believed what he said, always, without fault. And so I believed she was in the wrong. » Il continue d’offrir une brise délicate qui se prend à faire flotter les cheveux de la sorcière. « You are aware I do not always control my emotions, my power, this wind which should be a part of me. You are aware I sometimes explode without meaning to. This is all it was, Zee, a controless child who was given a particular view of the world. » Son regard s’attriste un moment. « As for the question I know you will pose: no, there is no part of my being which regrets my actions. My father is not a good man to be with, though you must understand the affair was never what mattered, not to me. »

Et voilà qu’il se défait d’elle, laisse son tissu doré sur sa chemise. Il se défait d’elle parce qu’il sait bien que ses mots l’ont blessée, que cette image qu’elle a construit de lui ne fait qu’empirer. « Seeing you with him had nothing to do with my father, or the woman who I have since considered as his mother. I hate him. » Il ne peut cacher la rage qui gronde au fond de sa gorge alors qu’il reste debout, loin de Zélie. « I hate him more than I have ever hated anything in the world. I hate him because he represents everything that could fail me, everything that could prevent me from achieving what I so desperately seak. » Il trouve le regard de la sorcière. « I hate him and yet he has become to Caïn the brother he could never have been to me. I hate him and yet he has found its way to your heart which should have always been mine. » Il est égoïste, Dashiell, et elle l’a toujours su l’Été, ce n’est pas un défaut qu’il lui cache. Le silence coule un instant. « And yes, Zee, I am a violent man. I was raised in a world which prones power and control at all costs. I believe my court should reign. I believe humains are beneath us. All of which you knew, even if you asked me to not remind you, which I did not. » Il hésite un moment. « Svetlana releases the worst criminals the world has to offer, and so do I. I am the reason murderers walk the streets. And I am one of them. » Sa tête tombe sur le côté avant de se redresser alors qu’il se pousse à continuer. « I am a killer. A killer of a vermine no one bothers to care for. And I would have killed Ezekiel should things have been different. » Il ne peut retenir un doux sourire. « And I will kill him should he ever hurt you. »

Tout va trop vite. Tout semble trop bruyant, alors que cette conversation ne dépasse pas le simple seuil de l’audible. Peut-être est-ce parce qu’elle ne veut pas réellement la vivre et que chaque mot est une torture. Pourquoi ? Une part d’elle l’a toujours su, quelque part, au fond. Tout au fond. Une voix qu’elle a toujours su faire taire, parce qu’elle a promis. De l’aimer inconditionnellement s’il ne lui montrait pas le reste. Donc oui, elle a toujours soupçonné qu’elle ne le connaissait pas entièrement. Mais elle ignore à quel point c’est vrai, à quel point c’est profond. Et à quel point cela pourrait bien tout changer. Parce qu’elle l’aime, son Dashiell. L’homme de sa vie sur tellement de points qu’ils y ont cru, un moment, avant de se rendre compte que ce n’était pas ça. C’était différent. Peut-être plus fort. Et quand il s’avance, quand il la soulève, quand il prend de soin d’elle, l’espace d’une seconde, son instinct lui dit de tout envoyer promener. D’oublier. De nier. Encore une fois. Tout pour que cette étreinte ne lui manque plus jamais, pour que ce parfum ne la quitte plus. Le silence qui les enveloppe, la douceur de ses gestes fait couler de nouvelles larmes sur les joues de la poupée. Et c’est alors qu’elle ouvre les lèvres pour le supplier d’arrêter, d’oublier qu’il reprend la parole. Et que tout s’écroule, pour de bon, cette fois. Car si cet instant fugitif a tout balayé, ce qui va suivre l’achèvera certainement. Et une part d’elle le sait déjà. Qu’elle est foutue. Qu’ils sont foutus. Et c’est ce qui alimente le flot de ses larmes qui coulent sans discontinuer. « I do not know how an explantation can be given, though I will try my best. » Il le sait aussi, même s’il continue de l’aider. Paralysée, la sirène se laisse faire, incapable de lui demander de ne surtout pas le faire

Et les mots glissent. Les mots coulent des lèvres aimées, la forçant à fermer les yeux pour ne pas le regarder. Tout ceci lui est connu, quelque part. Il n’y a rien de nouveau. Et peut-être, oui, peut-être aurait-elle pu pardonner. Mais l’étincelle de l’espoir ne s’est même pas animée dans son cœur. Car la suite est inévitable. Et c’est bien là qu’est tout le problème. « As for the question I know you will pose: no, there is no part of my being which regrets my actions. My father is not a good man to be with, though you must understand the affair was never what mattered, not to me. » « That’s not okay… » Il n’entend sûrement pas son murmure. Et pourtant, il se détache d’elle. Sans doute n’a-t-elle pas besoin de le lui dire. Que c’est cette absence de regrets qui la déchire. Qui lui fait se demander s’il est même capable d’aimer. Ses yeux s’abaissent sur la pochette dorée qu’il a abandonnée. Une voix lui demande de l’enlever, de se séparer de cette preuve d’affection qui n’a pas lieu d’être, ruinant un de ses accessoires pour elle. Cependant l’enfant est incapable de s’y résoudre. C’est ce qu’elle fixe pourtant, alors que le reste du récit de Dashiell coule sur elle. Sa haine pour son frère, qui suinte de tout son être, rend l’air quasiment irrespirable, même si la brise s’est fait plus calme, l’air circulant de nouveau librement dans ses poumons. Mais cette animosité la cloue sur place. Parce que ce sentiment lui est totalement inconnu. Parce qu’elle vous donnera mille raisons que vous jugerez sans doute frivoles pour vous expliquer à quel point haïr est inutile. A quel point la vie passe de façon irrégulière, tel le cours d’une eau particulièrement capricieuse et que s’encombrer de choses pareilles ne vous rendra pas heureux. Peut-être pourrait-elle lui dire tout ça. Tenter de le prendre dans ses bras. De lui faire entendre raison. Kill him with kindness. Mais Dashiell n’est pas être à être sauvé. Notamment parce qu’il ne semble pas considérer ce qu’il lui dit comme problématique. Et continue à la marteler, sans pitié. « I hate him and yet he has become to Caïn the brother he could never have been to me. I hate him and yet he has found its way to your heart which should have always been mine. » « He’s not anymore. » Un souffle. Un murmure. Un mensonge, qu’elle tente de se faire croire avant tout. C’est terminé. Qu’il ne s’acharne pas sur lui pour elle. Cela n’en vaut pas la peine.

Peine. Peine qui manque de faire exploser son cœur à chaque battement, alors que son regard refuse de croiser celui de sa moitié, celui de cet étranger. « And yes, Zee, I am a violent man. I was raised in a world which prones power and control at all costs. I believe my court should reign. I believe humains are beneath us. All of which you knew, even if you asked me to not remind you, which I did not. » Elle le sait. Elle en est consciente. Ils se sont opposés, au sujet de Marcus. Et s’il n’a pas insisté, elle n’est pas dupe de ce qu’il pense de son assistant et du dégoût qu’il ressent à son égard. Et c’est également pour cela qu’elle l’a évité autour des festivités du Nouvel An. Entre autres choses. « Svetlana releases the worst criminals the world has to offer, and so do I. I am the reason murderers walk the streets. And I am one of them. » Cela par contre est inédit. Et ses doigts qui étaient partis à la rencontre de la pochette l’éraflent, faisant tomber le tissu au sol alors qu’elle relève le regard vers lui. « I am a killer. A killer of a vermine no one bothers to care for. And I would have killed Ezekiel should things have been different. » Une vague de nausée la prend alors qu’elle le considère, estomaquée, le choc peint sur ses traits délicats. « And I will kill him should he ever hurt you. » « STOP WITH THAT. I TOLD YOU NOTHING WILL EVER HAPPEN AGAIN. SO GIVE ME A BREAK ! »

Elle a crié. Et s’est levée dans le mouvement. Sa cheville lui fait mal et elle manque de tomber, mais ne semble pas fragile un seul instant. Même si la douleur dans son regard et dans sa voix ne peuvent pas être manqués, et que son apparente colère ne sera pas suffisante pour tromper son plus vieil ami. Sur ses réels sentiments, même si elle parvient à se mentir à elle-même. Mais son explosion n’est pas seulement due à la mention de Kai. Tout le reste, tout le reste lui donne le tournis. « How can you stand there and tell me all that without hating yourself ? And don’t tell me I don’t know what I am talking about, you do know I do. » Ce qu’elle a ressenti, ce qu’elle ressent toujours par rapport à la mort d’Anton ne lui laisse pas une seconde de répit. « Is that what you were thinking, when you were telling me that I should not be ashamed ? That you have done it so many times and you think so much of yourself that I should be ok with what I did ? » Une nouvelle fois, tout est remis en question. Tout est remis sur la table. « How can you even stand yourself, Dash ? How can you tell me that you are a cold blooded murderer, that would claim to bring justice when you just seek power and still try to make me believe you are actually capable of loving ? » Les larmes ont disparu. Il n’y a plus face à lui qu’une jeune fille fatiguée, épuisée. en pleine désillusion, qui manque de s’écrouler à tout moment car on lui a retiré les fondations de son existence. Et qui pourtant a encore une parfaite consciente du Bien et du Mal. Sans doute la seule chose à laquelle elle croit encore. « That all that we had wasn’t just another trick to get whatever you want, whatever goal you are trying to reach which seems more important than everything in the world. Including lives. LIVES, DASHIELL ! » Les cadavres meurtris des humains sacrifiés pendant la mascarade de la Day lui reviennent en mémoire, lui faisant prendre sa tête entre ses mains. Ils sont accompagnés d'autres visages, de plaignants qui ne trouveront jamais la paix parce que leur agresseur, ou celui d'un de leur proche a été relâché. Insoutenable. Insupportable. « Is that it ? Is that all of it ? Or is there more ? » Essoufflée, les joues rosies par l’émotion, elle demande. Elle réclame sa propre mise à mort. Mais ne parvient pas à le regarder. C’est au-dessus de ses forces.